Voilà une bonne question pour commencer la semaine : Pourquoi les entreprises dites de la Tech et plus généralement les entreprises à forte croissance sont elles plus sensibles à la hausse des taux d’intérêt que les entreprises plus traditionnelles à la croissance plus faible ?
Comme vous allez pouvoir le constater, l’explication est relativement simple, même si l’approche peut paraître complexe. Entrons dans la technique financière de valorisation d’une action pour comprendre ce lien entre taux d’intérêt et cotation en bourse des entreprises.
Comment peut on estimer la valeur d’une entreprise ou d’une action ?
Comme nous vous l’expliquions déjà dans cet article « Comment calculer la valeur intrinsèque d’une entreprise et donc d’une action ?« , la valeur actuelle d’une entreprise et donc d’une action correspond à la « somme des flux futurs actualisés » en application de la formule de Gordon Shapiro.
En deux mots, la valeur d’une action correspond à la somme des dividendes qui seront versés à l’avenir.
Valeur d’une action = Dividende 2022 + dividendes 2023 + Dividende 2024 + dividendes 2025 + dividendes 20xx + … + Dividendes 2080 ….
Ce n’est pas beaucoup plus compliqué que cela. Pour autant, il convient d’apporter quelques amélioration à cette formule mathématique qui semble trop basique pour être valable. Deux éléments complémentaires doivent effectivement être pris en compte :
- Être capable d’estimer le taux de croissance des dividendes. L’exercice est délicat, notamment pour les entreprises « tech » dont les dividendes futures sont d’exprimés sous le forme d’une espérance. Pour les entreprises dites « value », il est plus difficile de fantasmer tant la visibilité du modèle économique ne permet pas la prise en compte d’anticipations fantasques. Ainsi, en fonction des différents scénarios économiques liés au modèle économique de l’entreprise (capacité de l’entreprise à renouveler son modèle économique pour générer toujours plus de bénéfices), mais aussi à l’environnement macro-économique (croissance économique du pays, inflation, …) auront une incidence forte sur la valeur actuelle d’une entreprise car ces scénarios auront un impact fort sur le montant des dividendes perçus à l’avenir. Les entreprises tech ou à forte croissance espèrent des fortes augmentations des bénéfices dans les années futures, et justifient alors des niveaux de valorisation élevés au regard des bénéfices réalisés l’année N car c’est la croissance future élevée qui justifiera le prix élevé payé aujourd’hui. Pour une entreprise value dont le modèle économique solide ne permet pas d’espérer des hausses importantes des bénéfices dans les années futures, devront se contenter d’un PER plus faible.
- Considérer la dynamique économique du pays. Percevoir un dividende de 100 dans 15 ans n’a pas la même valeur que percevoir un dividende de 100 cette année. En effet, pendant les 15 prochaines années, la valeur des 100 sera réduite par l’inflation et la croissance économique du pays. Il convient donc d’ajuster la valeur du dividende perçu dans 15 ans d’un taux d’intérêt sans risque dont le niveau est proche du taux d’inflation + taux de croissance réel de l’économie (= taux de croissance nominale de l’économie) ; Néanmoins, par réalisme, le taux sans risque est celui du taux des OAT 10 ans, c’est à dire le taux d’emprunt de l’état (-+0.20% en France ; -+ 1.60% aux USA).
- Considérer l’aléa sur la qualité des dividendes futurs. C’est la notion de prime de risque. Les dividendes futurs sont estimés de manière honnête, mais ne peuvent être certains. Il convient donc d’intégrer l’incertitude dans la valorisation de l’entreprise. Pour le marché action, une prime de risque de long terme autour de 5% paraît comme cohérente selon Vernimmen.
==> Comme vous l’aurez compris, l’équilibre devient tout de suite un peu plus complexe. La valeur actuelle d’une entreprise dépend d’un certain nombre d’hypothèses, dont le niveau des taux d’intérêt sans risque et donc l’inflation et la croissance économique.
En effet, plus les taux d’intérêt sans risque sont estimés durablement faibles, plus la valeur de l’entreprise sera élevé car la perte de valeur du temps sera d’autant plus faible que les taux d’intérêt son faible.
L’augmentation de l’inflation pourra alors être neutre pour l’entreprise qui possède la capacité à augmenter ces bénéfices au même rythme que l’inflation. L’inflation a pour conséquence d’augmenter le taux d’actualisation sans risque (= pression à la baisse sur la valeur de l’entreprise), mais l’augmentation du bénéfice et donc du dividende neutralise cette pression à la baisse. Tel ne sera pas le cas pour l’entreprise qui n’aura pas de pricing power et qui serait donc incapable d’augmenter ses prix pour suivre l’inflation.
Pour faire simple.
1- Percevoir un dividende 100€ en 2022 ou percevoir un dividende de 100€ en 2032 n’est pas identique, et l’écart est d’autant plus important que l’inflation sera importante pendant cette période de 10 ans :
- Avec une inflation de 2%, percevoir 100€ en 2032 est équivalent à percevoir 82€ en 2021 (100/1.02^10)
- Avec une inflation à 4%, percevoir 100€ en 2032 est équivalent à percevoir 67€ en 2021
2- En revanche, percevoir un dividende de 100€ en 2022 ou percevoir un dividende de 100€ dont la valeur augmenterait de x% par an car l’entreprise à la capacité à augmenter son bénéfice au même rythme que l’inflation x est identique.
Pourquoi les entreprises à forte croissance ou tech seraient elles plus impactées par la hausse des taux d’intérêt ?
Vous avez maintenant compris l’impact de la hausse des taux d’intérêt sur la valorisation des actions (du moins, j’espère avoir été relativement clair dans mon explication). Essayons maintenant de comprendre pourquoi ce sont avant tout les entreprises à forte croissance et surtout les entreprises tech qui souffrent le plus.
Comme nous l’avons expliqué auparavant, une entreprise tech ou une entreprise à forte croissance est une entreprise dont la valeur à l’instant T est très élevée car l’essentiel de la valeur de l’entreprise provient des dividendes futurs que l’on espère beaucoup plus élevés. C’est la très forte croissance anticipée des bénéfices futurs qui permet d’expliquer à forte valorisation actuelle calculé au regard du bénéfice actuel.
La valeur actuelle de l’entreprise dépend donc de l’importance de bénéfices qui seront perçus dans un horizon lointain, horizon de perception du dividende d’autant plus lointain que le modèle économique est disruptif. C’est la perspective de ces flux de trésorerie éloignés dans le temps qui explique cette forte sensibilité au taux d’intérêt.
En effet, en Euros, percevoir 100€ dans 2 ans n’est vraiment identique à percevoir 100€ dans 20 ans. Plus l’échéance est lointaine, moins la valeur actuelle est élevée ; Dans une telle hypothèse, l’augmentation du taux sans risque (et donc de l’inflation par exemple), à un impact plus important sur la valeur actuelle.
Reprenons notre exemple.
1- Pour une entreprise traditionnelle : Percevoir un dividende 100€ en 2022 ou percevoir un dividende de 100€ en 2032 n’est pas identique, et l’écart est d’autant plus important que l’inflation sera importante pendant cette période de 10 ans :
- Avec une inflation de 2%, percevoir 100€ en 2032 est équivalent à percevoir 82€ en 2021 (100/1.02^10)
- Avec une inflation à 4%, percevoir 100€ en 2032 est équivalent à percevoir 67€ en 2021
2- Pour une entreprise de forte croissance et/ou tech. Percevoir un dividende 100€ en 2022 ou percevoir un dividende de 100€ en 2052 n’est pas identique, et l’écart est d’autant plus important que l’inflation sera importante pendant cette période de 30 ans :
- Avec une inflation de 2%, percevoir 100€ en 2052 est équivalent à percevoir 55.20€ en 2022 (100/1.02^30)
- Avec une inflation à 4%, percevoir 100€ en 2052 est équivalent à percevoir 30€ en 2022 (100/1.04^30).
Ainsi, plus les taux d’intérêt augmentent, moins la valeur actuelle d’un dividende perçu à un horizon lointain est élevée.
En revanche, pour les entreprises value, c’est à dire est entreprise dont on connaît le modèle économique et dont la valeur actuelle est principale construite autour des bénéfices qui seront perçus rapidement, sera moins impactée par la hausse des taux d’intérêt.
Conclusion :
La hausse des taux d’intérêt est une pression à la baisse pour la valeur des entreprises et notamment pour les entreprises qui ne sont pas capables d’indexer leurs bénéfices sur l’inflation en augmentant leur prix de vente ;
Cette hausse des taux d’intérêt aura un impact d’autant plus négatifs pour les entreprises dont le modèle économique est en construction (startup non cotées ou cotées) et dont la valeur actuelle dépend pour beaucoup de bénéfices futurs espérés qui seront peut être perçus à un horizon très lointain.
Bref, celui qui anticipe la hausse des taux d’intérêt, doit aussi craindre pour la cotation des entreprises tech ou à forte croissance ; La gestion value serait elle la stratégie idéale pour 2022 ?
A suivre.
ps : Bravo aux courageux qui auront été attentif jusqu’au bout de l’article 😉
ps : N’oubliez pas que le MSCI World est très fortement exposé à ces entreprises tech. (cf. « Bourse : L’ETF MSCI World est-il la martingale de l’investissement en actions ?« )
Merci pour cet article et toutes ces explications.
Je reste cependant un peu perplexe… Il n’y a pas si longtemps, c’est Julien Bonnetouche qui m’a pratiquement persuadé qu’il fallait miser sur les entreprises tech en 2022 (https://www.leblogpatrimoine.com/bourse/le-cac40-a-10000-points-avant-2025.html) en écrivant « Les entreprises technologiques pures, et celles qui savent accompagner le changement technologique, vont voir leurs bénéfices croître comme c’était déjà le cas les quelques années passées. Mais encore plus vite. », même s’il tempérait ensuite ces arguments. Mais comme je crois à un retour de l’inflation, vos arguments me font repencher vers la vieille économie (banque, industrie, luxe). La vérité sera sans doute un mélange de tout cela. L’avenir nous le dira.
C’est tout la question du prix et de la valeur.
Evidemment que ces entreprises sont destinées à dominer notre monde économique… (quoi que ?!) mais le prix payé actuellement est il raisonnable au regard de la rentabilité future de cette domination ?
Souvenez vous de france télécom qui était vu comme l’entreprise de l’internet en 2000. 20 ans plus tard, c’est vrai… mais le cours est de 9€ (contre 200€ en 2000)
Bonjour,
La correction sur les technos a déjà commencé depuis plusieurs semaines. Cette correction va connaitre des hauts et des bas, mais elle va durer plusieurs mois. Après cette correction, ce sera très profitable d’acheter les technos.
Emmanuel Castaigne
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Bonsoir,
Plusieurs choses :
d’abord merci à Guillaume pour cet exposé mettant en avant l’inflation..
En effet j’avais dans l’idée que si les valeurs technologiques étaient plus sensibles à la hausse des taux, c’était parce qu’elles sont grandes consommatrices de cash et plus endettées que les valeurs traditionnelles.
Apollon,
Emmanuel Castaigne vient de donner à peu près la réponse que je voulais faire.
C’est dans cet esprit que dans l’article auquel vous faites référence, je parle d’un horizon 2025, et non pas 2022.
Guillaume,
Comparer l’an 2000 et l’époque actuelle est un peu osé dans la mesure où le développement de l’informatique en 2000 ne suivait pas techniquement les espoirs que l’on pouvait y mettre.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Et puis comparer France Télécom ses lourdeurs administratives et ses syndicats, avec les Gafam me parait encore plus risqué !!! 😉
La comparaison est dans l’état d’esprit.
En 2000, la tech avait une valorisation qui ne pouvait être comparée aux entreprises « classiques » = c’était le discours dominant.
Un peu comme aujourd’hui….. 😀
Les éléments de réponse selon « VERNIMMEN »:
« À ceux de nos lecteurs qui s’étonneraient de l’ampleur de la tasse bue la semaine passée en Bourse par les entreprises de la tech américaine, – 5 % pour le Nasdaq, nous rappelons que ces entreprises se caractérisent plus que les autres par des flux de trésorerie disponible éloignés dans le temps, et donc plus sensibles de ce fait à une modification des taux d’intérêt. En effet, leur duration est plus forte du fait de flux arrivant plus tardivement. Or le taux de rentabilité des obligations américaines à 10 ans a bondi ces dernières semaines de 1,4 % à quasiment 1,8 %.
On notera d’ailleurs que si la baisse du Nasdaq a été de 5 %, le cours des entreprises de technologie non encore profitables a, lui, régressé de 10 % en moyenne sur la semaine, car par rapport à la valeur moyenne du Nasdaq, leur duration est encore plus forte ».
C’est le type d’explication foireuse. Comment ce genre de raisonnement pouvait-il expliquer la hausse faramineuse des technos quand les taux étaient à 1,4%. Pour moi, les technos ont monté si fortement, parce que les courtiers et autres gestionnaires de patrimoine ou de fortune en achetaient beaucoup. Ils ne pouvaient pas ne pas en acheter et dire à leurs clients que tes technos étaient surévaluées, puisqu’elles continuaient toujours de monter. Maintenant que les technos baissent, on cherche à expliquer cette baisse par la hausse des taux d’intérêt, alors que c’est tout simplement par ce qu’elles sont surévaluées. Il faudra commencer à en racheter quand elles seront évaluées à leurs juste valeur.
Belles certitudes
Number of Nasdaq Stocks Down 50% or More Is Almost at a Record
https://www.bloomberg.com/news/articles/2022-01-06/number-of-nasdaq-stocks-down-50-or-more-is-almost-at-a-record
Le nombre d’actions du Nasdaq en baisse de 50% ou plus est presque à un record
40 % des entreprises de l’indice ont chuté de moitié par rapport aux sommets d’un an
Les investisseurs vendent d’abord, se reposent plus tard : Goepfert
Un nombre quasi record d’actions technologiques a plongé d’environ 50 % en écho au krach des dot-com.
Selon Jason Goepfert, directeur de la recherche chez Sundial Capital Research, environ quatre entreprises sur dix de l’indice composite Nasdaq ont vu leurs valeurs de marché réduites de moitié par rapport à leurs sommets de 52 semaines, tandis que la majorité des membres de la jauge sont embourbés dans des marchés baissiers. .
« Quelles que soient les considérations fondamentales et macroéconomiques, il ne fait aucun doute que les investisseurs ont d’abord vendu et essayé de comprendre le reste plus tard », a déclaré Goepfert dans une note.
Une autre façon de penser au naufrage de la technologie : à aucun autre moment depuis l’éclatement de la bulle Internet, autant d’entreprises n’ont chuté comme ça alors que l’indice lui-même était si proche d’un sommet.
« Les valorisations sont à des sommets historiques, les entreprises lèvent des milliards sur la base de la poussière de fée et la Fed signale un cycle de resserrement », a déclaré Goepfert. « Tout cela fait peur aux investisseurs que nous sommes sur le point d’une répétition de 1999-2000. »
Les actions technologiques sont sous pression depuis le début de l’année dans un contexte de liquidation du marché obligataire qui a poussé les rendements des bons du Trésor à 10 ans à 1,72%. Le carnage s’est aggravé après que le procès-verbal de la dernière réunion politique de la Réserve fédérale – publié mercredi – a indiqué des hausses de taux plus précoces et plus rapides, suggérant à certains que la banque centrale est devenue plus belliciste plus rapidement que beaucoup ne l’avaient prévu. Les traders n’ont pas tardé à décharger les actions technologiques, dont les valorisations élevées deviennent plus difficiles à justifier dans un environnement de taux en hausse.
Tout cela pourrait être source de problèmes pour les gestionnaires actifs ayant une large exposition au marché, car de nombreuses actions sont en deçà de leurs récents sommets.
L’indice Nasdaq Composite est sur le point de connaître sa plus forte baisse hebdomadaire depuis novembre, même s’il a augmenté lors de la séance de bourse de l’après-midi à New York jeudi. Une chute de 3,3% mercredi a marqué sa pire séance d’une journée depuis février de l’année dernière.
Une vidéo très intéressante :