L’anticipation de la transmission de son patrimoine à ses enfants passe régulièrement par la réalisation de donations, soit en pleine propriété, soit en nue propriété (c’est à dire avec réserve d’usufruit au profit du donateur). Il s’agit là de transmettre la pleine propriété, immédiate ou différé d’un patrimoine qui peut être immobilier ou financier.
C’est notion de donation et notamment de donation en nue propriété avec réserve d’usufruit sont courantes. Comme nous vous l’expliquions dans cet article « Usufruit, Nue propriété, Quasi-usufruit : Définition, droits et obligations.« , l’usufruit, c’est à dire le droit de jouissance d’un bien dont un tiers à la propriété, permettra au donateur qui le conserve de continuer à percevoir les revenus ou plus globalement la jouissance qui y sont attachés pendant toute sa vie.
La donation de la nue propriété ou donation avec réserve d’usufruit : Une donation fiscalement attrayante, mais civilement pénalisante en dehors d’une donation partage.
L’intérêt d’une telle donation de la nue propriété sera principalement fiscal. En effet, au décès du donateur resté usufruitier, l’usufruit viager prend fin et le nu propriétaire devient plein propriétaire du bien précédemment reçu par donation. Au moment de la donation de la nue propriété, celle-ci sera taxable aux droits de donations (droit de mutation à titre gratuit dont le taux est fonction du lien de parenté entre le donateur et le donataire) en fonction de la valeur de la nue propriété donnée.
La donation avec réserve d’usufruit, une solution fiscalement attrayante pour réduire les droits de succession.
En effet, le donateur conservant l’usufruit, c’est à dire un droit de jouissance viager, la pleine propriété doit être déduite de la valeur de l’usufruit conservé avant de subir les droits de donation. C’est l’article 669 du code général des impôts qui fixe la valeur à retenir pour le calcul des droits de donation.
AGE |
VALEUR |
VALEUR |
Moins de : | ||
21 ans révolus |
90 % |
10 % |
31 ans révolus |
80 % |
20 % |
41 ans révolus |
70 % |
30 % |
51 ans révolus |
60 % |
40 % |
61 ans révolus |
50 % |
50 % |
71 ans révolus |
40 % |
60 % |
81 ans révolus |
30 % |
70 % |
91 ans révolus |
20 % |
80 % |
Plus de 91 ans révolus |
10 % |
90 % |
Au décès du donateur resté usufruitier, le nu propriétaire devient plein propriétaire du bien objet de la donation. Cette pleine propriété sera reconstituée sans droit de succession, ni impôt.
La donation de la nue propriété sera taxable aux droits de mutation à titre gratuit selon l’âge du donateur usufruitier et la transmission de l’usufruit au nu propriétaire au moment du décès de l’usufruitier ne sera pas fiscalisée. Cette absence d’imposition de la transmission de l’usufruit au décès de l’usufruitier ne subira pas les contraintes du délai de 15 ans applicable au rapport fiscal des donations (cf »Succession : Qu’est ce que le rapport fiscal des donations ? Pourquoi ?« ).
Ainsi, selon l’âge du donateur – usufruitier au moment de la donation de la nue propriété, les sommes qui échappent à l’impôt peuvent être conséquentes.
Par exemple, dans l’hypothèse d’une donation de la nue propriété alors que l’usufruitier a entre 52 ans et 61 ans, ce serait 50% de la valeur du bien donné qui ne serait jamais taxable aux droits de donation. L’économie fiscale est particulièrement importante d’autant plus que cet avantage fiscal est acquis, même en cas de décès du donateur usufruitier dans un délai de 15 ans et ne pourra donc pas être remis en cause par le rapport fiscal des donations.
Mais civilement pénalisante lorsque la donation avec réserve d’usufruit n’est pas réalisée lors d’une donation partage.
D’un point civil, la donation de la nue propriété réalisée en dehors d’une donation partage non rapportable civilement devra être réalisée pour sa valeur en pleine propriété (1ère Civ,28 septembre 2011,pourvoi N° 10-203.54).
Une donation partage n’étant par nature par rapportable civilement, elle ne subira par le rapport civil des donations (cf »Succession, Qu’est ce que le rapport civil des donations ? Pourquoi ?« ). Le rapport civil est une opération réalisée par le notaire au moment de l’ouverture de la succession et cela en application de l’article 843 du code civil :
« Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.
Les legs faits à un héritier sont réputés faits hors part successorale, à moins que le testateur n’ait exprimé la volonté contraire, auquel cas le légataire ne peut réclamer son legs qu’en moins prenant. »
Le rapport civil des donations a pour seul objectif d’assurer l’équité entre les héritiers (à défaut d’une volonté contraire exprimée dans un testament. Appliqué aux donations en nue propriété, cela n’est pas sans poser un problème d’équité entre les héritiers.
Prenons un exemple pour comprendre.
Monsieur X, célibataire, possède un patrimoine de 200 000€.
Il a réalisé une donation à sa fille d’un immeuble en pleine propriété pour une valeur de 100 000€ en 2010. Cette même année, il a réalisé la donation en nue propriété (c’est à dire qu’il s’est réservé l’usufruit) de sa résidence principale dont la valeur est de 100 000€.
Entre 2010 et 2016, la fille de Monsieur X dispose de la pleine propriété de cet immeuble, en perçoit les revenus locatifs.
Entre 2010 et 2016, le fils de Monsieur X est nu propriétaire de la résidence principale de son père. Il n’en profite pas, ne perçoit aucun revenu.
Pourtant, derrière une donation qui ne semble pas équitable (donation de deux biens de valeur identique mais droits de propriété différents), les deux enfants de Monsieur X seront réputés avoir reçu un lot équitable lors du rapport civil des donations :
– La fille de Monsieur X devra rapporter la valeur de l’immeuble en pleine propriété, soit 100 000€ ;
– Le fils de Monsieur X devra rapport la valeur de l’immeuble en pleine propriété, soit 100 000€ alors même que son père avait conservé l’usufruit dudit bien et qu’il n’a pas bénéficié de l’usufruit entre la date de la donation et le décès du donateur usufruitier.
Cette situation conduit inévitablement à une différence de traitement entre les deux héritiers, mais civilement, cette différence ne sera pas reconnue et chacun sera réputé avoir reçu un patrimoine équivalent.
La donation d’usufruit, une solution pour avantager un enfant par rapport à ses frères et soeurs mais pas pour réduire les droits de succession.
Si la donation de la nue propriété est couramment rencontrée, la donation d’usufruit, que l’usufruit soit donné de manière temporaire ou viagère, est plus rare.
La donation d’usufruit temporaire est parfois utilisée pour transmettre les revenus attachés au bien donné (et l’impôt sur le revenu et ISF correspondants) lorsqu’il s’agit d’aider un enfant dans le besoin ou pour le financement des études. Les parents donateur réalisent la donation d’usufruit temporaire d’un bien immobilier et les revenus générés par ce dernier profite à l’enfant devenu usufruitier dudit immeuble.
Le revenu versé sera imposable entre les mains de l’enfant (probablement dans une tranche marginale d’imposition plus faible) et la valeur de l’immeuble ne sera plus taxable au titre de l’ISF des parents.
Tout comme la donation de la nue propriété, la valeur de la donation pour déterminer l’assiette des droits de succession sera fixée en application de l’article 669 du CGI. Lorsque l’usufruit est temporaire, c’est à dire limité dans le temps en fonction de l’état de besoin financier du donataire, l’article 669 du CGI fixe à 23% par période de 10 ans, la valeur de cet usufruit.
Cela signifie que la donation de l’usufruit pour une période de 10 ans d’un immeuble valorisé 100 000€ sera estimé 23 000€. Cette donation d’usufruit temporaire sera taxable aux droits de succession dans les conditions de droit commun (après un éventuel abattement de 100000€ s’il s’agit d’une donation en ligne directe – parent/enfant ; enfant/parent).
A l’extinction de l’usufruit, soit par le terme de la durée fixée, soit par le décès de l’usufruitier, le nu propriétaire retrouve la pleine propriété de son immeuble (usufruit + nue propriété).
Au décès du donateur, cette pleine propriété reconstituée sera à nouveau taxable aux droits de succession dans les conditions de droit commun.
Attention, la donation d’usufruit ne doit pas être confondue avec la mise à disposition à titre gratuit d’un logement qui est rapportable au terme de l’article 851 du code civil à hauteur du montant du loyer abandonné par les parents (cf »Loger ses enfants gratuitement ou avec un faible loyer…« ).
Le rapport civil des donations d’usufruit temporaire permet d’avantager un enfant au détriment de ses cohéritiers.
La question du rapport civil des donations d’usufruit peut paraître complexe. Comme nous le précisions précédemment, l’article 843 du code civil impose à tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement.
L’article 860 du même code civil de préciser que « Le rapport est dû de la valeur du bien donné à l’époque du partage, d’après son état à l’époque de la donation. »
Cela signifie simplement, que la donation d’usufruit temporaire devra être rapportée par le donateur au jour de la succession, mais que le montant du rapport civil de la donation d’usufruit temporaire pourra varier :
– Si le donateur décède après l’extinction de l’usufruit, la valeur du rapport civil de la donation sera égale à zéro. Au jour de la succession du donateur, l’usufruit temporaire n’existe plus par l’arrivée du terme de cette dernière. Si le rapport civil ne peut être contesté, il sera égal à zero et constituera un avantage manifeste pour l’héritier qui en a bénéficié. L’usufruit dont il aura bénéficié ne sera pas considéré comme une donation rapportable ou une avance sur héritage.
– Si le donateur décès avant l’extinction de l’usufruit, c’est à dire alors que le donataire dispose encore de la jouissance du bien, le rapport civil devra être effectué en fonction de la valeur économique de ce dernier. Le rapport civil de la donation d’usufruit temporaire sera égal à la valeur capitalisée de la jouissance depuis la donation jusqu’au décès du donateur. (cf »Simulateur calcul d’usufruit économique. Calculez la valeur réelle de l’usufruit et de la nue propriété.«