A l’occasion d’une récente réponse ministérielle Eliaou, je vous propose de revenir sur une situation régulièrement rencontrée par les donataires à l’occasion de la vente d’un bien immobilier reçu par donation.
Dans cette réponse ministérielle, la ministre de la justice rappelle les modalités d’exercice de l’action en réduction lorsque l’un des héritiers considère qu’il y a atteinte à sa réserve héréditaire. L’action en réduction, c’est le mécanisme juridique qui permet, au moment du décès du défunt, de faire respecter les règles relatives à la quotité disponible et à la réserve comme nous vous l’expliquions dans cet article « Succession : Comment demander l’action en réduction des donations pour atteinte à la réserve héréditaire ? ».
Vous le savez, le code civil érige en principe le respect d’une réserve héréditaire au profit de certains héritiers qui ne pourront être déshérités. En application de l’article 922 du code civil, au décès du donateur :
« La réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existant au décès du donateur ou testateur.
Les biens dont il a été disposé par donation entre vifs sont fictivement réunis à cette masse, d’après leur état à l’époque de la donation et leur valeur à l’ouverture de la succession, après qu’en ont été déduites les dettes ou les charges les grevant. Si les biens ont été aliénés, il est tenu compte de leur valeur à l’époque de l’aliénation. S’il y a eu subrogation, il est tenu compte de la valeur des nouveaux biens au jour de l’ouverture de la succession, d’après leur état à l’époque de l’acquisition. Toutefois, si la dépréciation des nouveaux biens était, en raison de leur nature, inéluctable au jour de leur acquisition, il n’est pas tenu compte de la subrogation.
Mais au delà de cette théorie, la mise en œuvre de l’action en réduction qui indemnisera l’héritier lésé dans sa réserve héréditaire peut devenir difficile, notamment dans l’hypothèse de l’insolvabilité de l’héritier, donataire, qui aurait reçu plus que la quotité disponible dont pouvait disposer le donateur.
Prenons un exemple simple pour comprendre :
Monsieur DUPONT possède un patrimoine de 100 000€ au jour de son décès. L’assurance vie, hors succession, dont le dénouement par le décès de Monsieur DUPONT, n’est évidemment pas intégrée à ce patrimoine.
Monsieur DUPONT a d’ores et déjà effectué une donation d’un bien immobilier à un seul de ses enfants ; La valeur du bien donné est estimé à 500 000€. L’enfant donataire dudit bien immobilier a vendu le bien reçu par donation et dépensé l’argent.
Ainsi, chacun des deux enfants héritiers est réputé héritier réservataire à hauteur de 200 000€; La réserve est donc de 400 000€ et la quotité disponible estimée à 200 000€. Cela signifie que chacun des enfants doit hériter d’au moins 200 000€. L’héritier dont l’héritage serait inférieur pour engager une action en réduction pour obtenir, à minima cette somme.
Dans notre exemple, le patrimoine du défunt au jour du décès n’est que de 100 000€. L’héritier qui n’aurait pas reçu de donation serait donc lésé : Il pourrait se faire attribuer les 100 000€ restants, mais cette somme serait manifestement inférieure à sa réserve héréditaire. Il lui manque 100 000€.
C’est à l’enfant donataire du bien immobilier valorisé 500 000€ qui devra verser une indemnité de réduction à son frère/sœur.
Mais comment payer l’indemnité de réduction si l’héritier débiteur est insolvable ?
La question du paiement de l’indemnité de réduction par le donataire insolvable est au cœur de la réponse ministérielle en question. Extrait :
« Lorsqu’une libéralité porte atteinte à la réserve héréditaire, le gratifié est redevable d’une indemnité de réduction en application de l’article 924 du code civil. Cette réduction en valeur trouve toutefois deux exceptions en cas de préférence du gratifié pour une réduction en nature, c’est-à-dire une restitution du bien donné ou légué (article 924-1 du code civil) et en cas d’insolvabilité du gratifié qui se trouve dans l’impossibilité de verser l’indemnité de réduction aux héritiers réservataires (article 924-4 du code civil).
Dans cette dernière hypothèse il est ouvert aux héritiers réservataires une action en revendication contre le tiers qui a acquis le bien du gratifié. La réduction a alors lieu en nature, par restitution.
L’alinéa 2 de l’article 924-4 précité permet toutefois de sécuriser les transactions juridiques en faisant intervenir à l’acte de vente les héritiers présomptifs, ce qui a pour effet de leur interdire d’intenter l’action en revendication contre les tiers. »
Oui, vous lisez bien, l’héritier lésé bénéficie d’une action en revendication contre l’acheteur du bien donné par donation. Celui ci pourra se faire restituer le bien vendu au titre du paiement de cette indemnité de réduction. L’acheteur dudit bien immobilier se verra donc priver de sa propriété.
Néanmoins, cette action en revendication ne sera pas possible lorsque les co-héritiers auront accepté la vente en application de l’aliéna 2 de l’article 924-4 du code civil :
» Après discussion préalable des biens du débiteur de l’indemnité en réduction et en cas d’insolvabilité de ce dernier, les héritiers réservataires peuvent exercer l’action en réduction ou revendication contre les tiers détenteurs des immeubles faisant partie des libéralités et aliénés par le gratifié.
Lorsque, au jour de la donation ou postérieurement, le donateur et tous les héritiers réservataires présomptifs ont consenti à l’aliénation du bien donné, aucun héritier réservataire, même né après que le consentement de tous les héritiers intéressés a été recueilli, ne peut exercer l’action contre les tiers détenteurs.«
Ainsi, lorsque l’acte de donation n’exclue pas l’action en revendication, l’accord des frères et sœurs est systématiquement demandé lors de la vente ou la donation dudit bien immobilier. Il s’agit de sécuriser l’acheteur ou le donataire du bien immobilier qui ne pourra alors se le voir revendiquer par les héritiers qui se considéreraient lésés.
Mais attention, en donnant leur accord pour la vente ou la donation du bien donné, les frères et sœurs s’exposent à l’insolvabilité du débiteur de l’indemnité de réduction … et donc à l’impossible respect de leur réserve héréditaire.