Optimiser sa succession (qui est d’ailleurs le titre de mon prochain livre qui devrait sortir dans un peu plus d’un mois) ne doit pas se réduire à la gestion fiscale de la succession. Optimiser sa succession, c’est aussi choisir ses héritiers et la nature de l’héritage qu’ils recevront.
Le code civil propose des règles de partage successoral que le défunt peut choisir de suivre … mais qu’il peut aussi choisir de contourner pour partie afin d’adapter la transmission de son patrimoine aux besoins de la famille et/ou au relations humaines pas toujours faciles.
A ce titre, même s’il est de coutume d’affirmer qu’il n’est pas possible de totalement déshériter un enfant, chacun est libre de moduler la part que chacun d’entre eux recevra ; Il s’agit là des stratégies traditionnelles de contournement de la réserve héréditaire et de la réserve telles que nous vous les présentons dans cet article par exemple : Pourquoi et comment contourner la réserve héréditaire et la quotité disponible ?.
Donation hors part successorale et assurance vie sont des solutions couramment utilisées pour avantager un enfant au détriment de ses frères et sœurs qui recevront une moindre part d’héritage, et peut être même une part inférieure à la réserve qu’ils pourraient attendre.
Néanmoins, il existe d’autres solutions tout aussi efficaces qui permettront d’aller encore plus loin dans l’avantage patrimonial donné à un enfant vis à vis de ses frères et sœurs. Analysons ensemble ces autres possibilités pour avantager un enfant par rapport à ses frères et sœurs (et donc pour les déshériter au moins pour partie) :
- Le présent d’usage ;
- La donation d’usufruit temporaire ;
- Le commodat ou prêt à usage ;
Le présent d’usage ou la cadeau : Il n’est pas interdit d’être généreux avec ses enfants ou l’un d’eux seulement.
Cette première solution est à la fois la plus simple et la plus efficace. La générosité et le cadeau. En France, il n’est pas interdit d’être généreux. Vous avez tout à fait le droit d’être très généreux avec vos enfants ou avec l’un d’eux seulement.
Cette générosité qui s’exprimerait à l’occasion de Noël, d’un anniversaire, ou d’un événement particulier tel qu’un mariage, une communion ne serait alors pas considérée comme une donation, rapportable à la succession et/ou taxable aux droits de succession, mais comme un cadeau, non rapportable et non taxable.
Cette générosité particulièrement développé au profit de l’enfant que vous souhaitez avantager et de ses enfants par exemple est un moyen terriblement efficace pour progressivement transférer un patrimoine à son profit. Ce transfert de propriété ne sera pas considérée comme une donation dès lors que la modestie des montants ne sera pas source d’appauvrissement réel pour celui qui est à l’origine de l’acte de générosité.
Le caractère de présent d’usage, donc non rapportable à succession s’applique également aux sommes versées mensuellement sur le PEL (et probablement d’un contrat d’assurance vie même si l’administration fiscale ne le précise pas expressément) d’un enfant ou petit enfant mineur ((RM Chartier n° 63526, JO AN du 17 janvier 2006, p. 504)
« pour les sommes versées par des parents sur un plan d’épargne logement ouvert au nom de leur enfant, il est admis, compte tenu notamment du montant maximal des sommes pouvant être placées, que ce placement financier puisse être qualifié de présent d’usage. Cette qualification reste néanmoins une question de fait qui, en cas de litige, relève de la compétence du juge judiciaire »
Au terme d’un rescrit référencé « RES N° 2013/05 (ENR) » du 3 avril 2013 sur les critères de distinction entre les dons manuels et les présents d’usage, l’administration fiscale reste volontairement vague :
« En application des dispositions de l’article 784 du CGI, les donations antérieures doivent être déclarées lors de toute transmission à titre gratuit faite entre les mêmes personnes, à quelque titre et sous quelque forme que ce soit. Ainsi, les dons manuels sont taxables à l’occasion d’une donation postérieure constatée par un acte et intervenue entre les mêmes personnes, ainsi que lors du décès du donateur, si le donataire figure parmi les successibles, à moins qu’ils n’aient déjà supporté l’impôt en application de l’article 757 du CGI .
Il est toutefois admis de ne pas opposer les dispositions de l’article 784 du CGI aux dons manuels ayant le caractère de présents d’usage au sens de l’article 852 du code civil. Cette article prévoit que de tels présents ne sont pas rapportés à la succession du donateur, et précise que le caractère de présent d’usage s’apprécie à la date où il est consenti, et compte tenu de la fortune du disposant.
La jurisprudence civile a défini les présents d’usage comme étant « les cadeaux faits à l’occasion de certains événements, conformément à un usage, et n’excédant pas une certaine valeur » (Cass. civ; arrêt du 6 décembre 1988 n° 87-15083).
Ainsi, l’appréciation de la nature d’un don manuel et de son caractère rapportable ou non en fonction de son importance, est une question de fait. La qualification de présent d’usage pour un cadeau consenti résulte donc, au plan civil comme au plan fiscal, d’un examen des circonstances concrètes de chaque affaire, incompatible avec l’application de critères normatifs préétablis.
Dès lors, l’administration fiscale ne fixe aucune règle de proportionnalité du présent par rapport à la fortune ou aux revenus du donateur et apprécie au cas par cas la nature du don, en fonction de l’ensemble des circonstances de fait ayant entouré la libéralité, et sous le contrôle souverain des juges du fond. »
Le don d’usage est un excellent moyen pour progressivement avantager un enfant, car si les sommes sont modestes, leur multiplication, aussi bien en nombre dans l’année, qu’au bénéfice d’enfant et petit-enfants, peut permettre d’atteindre des sommes relativement importantes.
La donation d’usufruit temporaire, une donation qui n’entre pas dans le calcul de la réserve et quotité disponible si l’usufruit temporaire est éteint au décès du donateur.
En effet, pour le calcul de la réserve et de la quotité disponible, l’article 922 du code civil précise que (cf »Succession : Comment demander l’action en réduction des donations pour atteinte à la réserve héréditaire ? » :
La réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existant au décès du donateur ou testateur.
Les biens dont il a été disposé par donation entre vifs sont fictivement réunis à cette masse, d’après leur état à l’époque de la donation et leur valeur à l’ouverture de la succession, après qu’en ont été déduites les dettes ou les charges les grevant. Si les biens ont été aliénés, il est tenu compte de leur valeur à l’époque de l’aliénation. S’il y a eu subrogation, il est tenu compte de la valeur des nouveaux biens au jour de l’ouverture de la succession, d’après leur état à l’époque de l’acquisition. Toutefois, si la dépréciation des nouveaux biens était, en raison de leur nature, inéluctable au jour de leur acquisition, il n’est pas tenu compte de la subrogation.
On calcule sur tous ces biens, eu égard à la qualité des héritiers qu’il laisse, quelle est la quotité dont le défunt a pu disposer.
Dans le cas de la donation d’un usufruit temporaire arrivée à son terme avant le décès, aucune réunion fictive n’est possible car le bien en pleine propriété se retrouve bel et bien dans le patrimoine du défunt à son décès.
Prenons l’exemple suivant pour mieux comprendre.
Monsieur Dupont donne l’usufruit d’une durée de 10 ans d’un appartement à un seul de ses deux enfants. Cette donation d’usufruit temporaire permet à l’enfant d’occuper l’immeuble ou de le mettre en location pendant 10 ans et toucher les revenus.
Après 10 ans, l’usufruit s’éteint. Monsieur DUPONT retrouve alors la pleine propriété de son immeuble.
20 ans plus tard, Monsieur DUPONT décède.
Lorsqu’il s’agira de calculer le montant de la réserve héréditaire, la donation d’usufruit temporaire ne viendra pas augmenter ou réduire le montant de la réserve. L’enfant qui en aura bénéficié aura été avantagé en dehors des notions de réserve et de quotité disponible.
En effet, considérant le patrimoine de Monsieur DUPONT comme étant constitué de ce seul bien, la réserve sera de 50% dudit bien immobilier et la valeur de l’usufruit temporaire dont a bénéficié un seul des enfants ne sera pas ajouté.
Cette donation d’usufruit temporaire ayant été réalisée avec dispense de rapport, c’est à dire hors part successorale, elle ne pourra être concernée par un rapport civil des donations (cf »Succession, Qu’est ce que le rapport civil des donations ? Pourquoi ? »).
Ainsi, Monsieur DUPONT aura avantagé son enfant en lui transférant les revenus attachés à son immeuble pendant toute la durée du démembrement.
Le commodat ou prêt à usage pour faire profiter un enfant du patrimoine.
La troisième voie pour avantager un enfant vis à vis de ses frères et sœurs est l’usage du commodat également nommé prêt à usage. Comme nous vous l’expliquions déjà dans cet article « Le commodat ou prêt à usage n’est pas une donation taxable aux droits de succession », le commodat n’est pas une donation. Le commodat n’est donc pas soumis au rapport, ni à la réduction pour atteinte à la réserve.
Il s’agit simplement de prêter un bien à un tiers, qui peut être un enfant, qui l’utilisera selon ses besoins. Il pourra s’agir d’une voiture ou d’un appartement ou maison. Le commodat est une excellente solution pour loger un enfant ou un concubin gratuitement sans réaliser une donation dès lors que le commodat n’est pas considéré comme relevant d’une intention libérale, c’est à dire de cet acte moral qu’est la volonté de s’appauvrir afin de gratifier un tiers sans contrepartie.
Le commodat est d’autant plus intéressant qu’il pourra poursuivre ses effets après la succession du propriétaire de l’immeuble ou du bien.