L’édito hebdomadaire de Julien Bonnetouche, notre lecteur passionné de gestion de patrimoine et de marchés financiers.

Lors d’un récent article publié sous le titre « L’inflation peut-elle durer plus longtemps que prévu ?« , je détaillais les raisons d’une inflation pouvant durer plus longtemps de prévu, avec bien entendu une répercussion possible sur les taux d’intérêts.

Aujourd’hui, nous regardons un peu plus dans le détail, en différenciant les marchés US et zone euro.

Les faits :

  • La semaine dernière, les banques centrales ont remonté leurs taux de 50 points pour la BCE les amenant autour de 3 %, et de 0,25 points pour la FED les amenant vers 5 %;
  • Si l’on regarde l’inflation. Aux États-Unis, elle est aujourd’hui autour de 5%/6%. En zone euro, elle est toujours autour de 8%.

La zone euro est beaucoup plus dépendante des matières premières importées que les USA, pour lesquels l’inflation trouve davantage son origine dans les hausses de prix intérieurs (salaires …) beaucoup plus sensibles, elle, à la hausse des taux.

En zone Euro, nous avons un sérieux problème de dépendance énergétique (et c’est probablement la raison pour laquelle nous sommes en pointe sur la question de la lutte contre le réchauffement climatique).

Il saute aux yeux, que le différentiel entre taux et inflation en zone euro est incroyablement plus important qu’aux USA.

Les taux réels sont encore extrêmement négatifs en zone euros malgré la hausse récente des taux. Avec une inflation autour de 8% et des taux OAT 10 ans inférieur à 3%, les taux sont très négatifs (-5%).

Aux États-Unis, les taux réels sont encore négatifs, mais pourraient rapidement devenir neutre, voir positif dans les prochains mois au gré des prochaines hausse de taux et de baisse de l’inflation. L’inflation est autour de 5.50% et les taux 3.60% ; les taux négatifs deviennent de moins en moins négatifs.

Nous voyons aussi que dans les deux cas, nous sommes encore assez loin des 2 % d’inflation visée par les banquiers centraux.

L’un des questionnements rencontrés par les autorités monétaires vient de ce que la baisse d’activité attendue pour calmer l’inflation se fait attendre partout, même en Europe.

On invoque des deux côtés de l’Atlantique les conséquences des excès monétaires de la période covid dans lesquelles les consommateurs puiseraient encore maintenant, malgré les hausses de prix à la consommation. Il existe sûrement d’autres raisons.

Le manque de main d’œuvre une d’une ampleur encore surprenante.

Malgré tout, si on se contente de comparer la situation des deux zones ($ et €) la première est incontestablement en avance dans le cycle de hausse des taux et de tentative de freiner une activité économique trop dynamique, source d’une inflation trop forte.

Néanmoins, pas de conclusion trop hâtive, car l’inflation de la zone euros trouve une part non négligeable de sa source dans l’inflation importée par les coûts énergétiques. La guerre en Ukraine explique une part non négligeable de l’inflation en zone Euro.

Il est inefficace d’augmenter les taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation importée. Créer une récession pour lutter contre une inflation des coûts énergétiques serait vraiment incohérent. La récession ne réglera pas la question de l’approvisionnement énergétique de l’Europe. 

Nous n’avons pas d’autres choix que de subir cette inflation importée tout en adaptant notre appareil productif pour limiter au maximum notre dépendance.

La transition énergétique est une urgence économique avant même d’être une urgence environnementale.

Aux USA, Jerome Powel, bien décidé à lutter contre l’inflation, dit qu’il va augmenter les taux encore un peu, et faire en sorte que les courbes de taux et d’inflation, se croisent, les taux réels devenant positifs.

Des taux d’intérêt positifs !! Ça faisait longtemps que nous n’avions pas vécu une telle situation. Des taux d’intérêt positifs qui pèsent sur les marchés actions US, les obligations devenant plus intéressantes – Le rendement des obligations devient un concurrent sérieux pour attirer les flux d’épargne.

En Europe, Mme Lagarde dit aussi qu’elle va remonter les taux, tout en sachant le peu d’efficacité directe sur l’inflation qui trouve sa source dans la violente hausse des couts énergétiques.

En outre, au regard des niveaux d’endettement de nos états, les taux d’intérêt négatifs sont confortables. La dette se rembourse automatiquement grâce à l’inflation. Les taux d’intérêt négatifs permettent de financer le « quoiqu’il en coute » à moindre frais. La situation est idéale.

Comme nous l’imaginions aisément depuis des mois, ce sont les épargnants qui financent le quoiqu’il en coûte.

Bref, la Banque centrale joue un drôle de jeu. D’un côté, elle doit démontrer sa volonté ferme d’augmenter les taux… mais d’un autre, elle laisse tranquillement les choses s’auto-réguler et attend avec impatience la fin de la guerre en Ukraine, tout en espérant que les taux négatifs se maintiennent encore quelque temps pour rembourser la dette.

Mme Lagarde est une équilibriste de grand talent.

Il faut donc que l’inflation importée baisse et la fin de la guerre en Ukraine est la seule option (mais peut-être aurons-nous une bonne surprise en 2023 !!).

Il faut alors être patient et attendre.

Une question vient alors à l’esprit : Jusqu’où faut-il monter les taux européens pour obtenir l’effet espéré ?

Réponse : Jusqu’à ce que les taux rejoignent l’inflation comme c’est le cas aux USA, en espérant que la fin de la guerre en Ukraine jouera son rôle efficacement sur la composante importée de cette inflation.

Pour le moment, on n’en sait rien, mais il est bien possible qu’il y ait encore de la marge… Nous ne sommes qu’à 3%.

Assez curieusement, les marchés des deux côtés de l’Atlantique évoluent différemment en ce moment, alors que les perspectives sont plus favorables en Amérique.

En Europe nous sommes quasiment revenus aux sommets de 2021 (7300 sur le CAC), alors que le DJ est 8 à 10 % en dessous, et le Nasdaq 25 à 30 % en dessous également.

L’explication la plus probable vient des taux en surtout des taux réels.

Comme je le disais plus haut, ils sont en passe de revenir positifs aux USA, alors qu’ils sont encore très négatifs en Europe.

Mais les États unis sont en avance, l’Europe en retard dans le cycle, et les taux se stabiliseront plus vite là-bas, dès que l’inflation apparaîtra vaincue, et là encore, on ne connaît pas le délai…

Le consensus anticipe la fin de la remontée des taux d’intérêt. C’est pour bientôt. La situation est idéale. Les taux ont fortement monté, sans pour autant être récessionniste. Trop fort !

Trop beau pour être vrai ?

Et si le consensus avait tort ?

Et si l’économie était plus robuste que prévu ? Et si les banques centrales devaient augmenter les taux d’intérêt plus fortement que prévu ?

Les certitudes d’aujourd’hui seront les doutes de demain. J’ai comme l’intuition que l’économie n’a pas dit son dernier mot …

Attention donc aux anticipations hâtives de fin de la hausse des taux. Tout cela est loin d’être acquis.

Si les banques centrales devaient augmenter les taux plus fortement que prévu, l’impact sur la croissance économique serait plus fort et la récession redeviendrait un sujet d’actualité stressant pour les acteurs de marché.

À suivre.

Étiqueté dans :
,