« Les cycles économiques ne meurent jamais de vieillesse » Voilà phrase qui permet de mieux comprendre pourquoi il est vain de chercher à prédire d’où viendra la prochaine crise.
Dans sa dernière analyse économique Patrick ARTUS fait un état des lieux particulièrement rassurant pour l’investisseur. Extrait de son analyse « Les investisseurs devraient être rassurés » :
« Les investisseurs (en actions, en obligations d’entreprises) des pays de l’OCDE devraient être rassurés car :

  1. l’inflation ne revient pas, les taux d’intérêt vont rester bas ;
  2. avec les taux d’intérêt bas, tous les groupes d’agents économiques sont solvables et on ne voit pas d’où viendrait une récession ;
  3. la croissance devrait donc rester convenable, voisine de la croissance potentielle, ce qui permet de conserver des taux de défaut bas et une profitabilité élevée des entreprises.

Dans ce contexte, les actions et les obligations des entreprises des pays de l’OCDE sont encore bon marché.  »
Cette analyse n’est pas sans rappeler son propos à la veille de la crise de 2007 dans lesquels il affirmait « Le potentiel des Bourses européennes est gigantesque. […] Dans une économie mondiale qui peut fonctionner avec des États-Unis en croissance faible et où l’inflation semble vaincue, il est possible de croire que le seul CAC 40, par exemple, puisse atteindre 7 000 points au premier semestre 2008. »
Pourtant Artus est un très bon ! Mais comme il est rigoureux, il ne peut analyser la situation qu’au regard des éléments statistiques qu’il possède que l’on pourrait traduire par « Pour le moment, tout va bien… Les statistiques en ma possession me font dire que … ». Patrick ARTUS n’est pas de ceux (dont je fais partie) qui font des prédictions ou analyses prospectives basées sur leur bon sens, sur leur analyse subjective, leur expérience ou leur dogme.
Patrick ARTUS est un objectif et son analyse est probablement juste en 2019, tout comme elle l’était en 2007 (Mais attention, pour comprendre l’analyse de Patrick ARTUS, il faut tout lire… Il joue aussi au prédictologue lorsqu’il évoque le risque sur le prix de pétrole ou encore le risque de révolte des épargnants ou des salariés – Il est absurde de réduire sa pensée à un analyse lue indépendamment de ses autres analyses).

Malheureusement, l’économie n’est pas une science objective. Le comportement humain ne peut être traduit par une formule mathématique dont la variation d’une variable serait à l’origine de tel ou tel évolution du comportement.
C’est la raison pour laquelle l’économiste excelle lorsqu’il s’agit d’expliquer le passé alors que l’analyste subjectif excelle lorsqu’il s’agit de prédire la crise qui ne vient pas. Mais au final, les deux ont raison sur une échelle de temps différente : L’économiste parle du présent avec les données du passé; Alors que le prédictologue parle du futur avec les signaux faibles du présent et les données anticipées du futur . Les évènements doivent permettre aux deux de se retrouver, un jour (ou pas si les signaux faibles du présent ne se concrétisent pas dans le futur).
Ce n’est pas parce qu’on ne voit pas le danger qu’il n’existe pas. Conclure, comme le fait Patrick ARTUS que les investisseurs devraient être rassurés car « les actions et les obligations des entreprises des pays de l’OCDE sont encore bon marché« , c’est nier le bon sens de chacun !Prenons un exemple pour comprendre : « Lorsque je roule à 250 km / heure sur une route de campagne, … tant que je ne croise pas de tracteur ou qu’un lapin ne traverse pas la route tout va bien… mais ce n’est pas parce que je ne vois pas le danger qu’il n’existe pas. Il suffit alors d’un tout petit grain de sable (et plus je prends des risques, plus le grain de sable peut être petit) pour que le danger sa matérialise. »
Pour l’économie, c’est la même chose. Ce n’est pas parce que les économistes ne voient pas le danger qu’il n’existe pas et à contrario, ce n’est pas parce que le danger est présent qu’il se concrétise immédiatement. Ce n’est qu’une question de temps ! C’est alors, lorsque le risque se matérialise que l’on comprend ce qu’il se passe, il est trop tard.
 

Pour l’économie, c’est la même chose. Ce n’est pas parce que les économistes ne voient pas le danger qu’il n’existe pas et à contrario, ce n’est pas parce que le danger est présent qu’il se concrétise immédiatement.

Il est naïf de croire que c’est l’attentat du 11 septembre 2001 permet d’expliquer la crise de 2001 ; il est naïf de croire que c’est la chute de Lehman brother qui suffit à expliquer la crise financière de 2008 ; Il est naïf de croire que parce qu’on ne connaît pas encore l’évènement qui déclenchera la prochaine crise, elle n’arrivera pas.
Il est vrai qu’à court terme, tout va bien. A l’instant présent, les données du passé permettent au économiste d’expliquer que tout va bien aujourd’hui alors même que leur bon sens paysan doit leur permettre d’avoir quelques doutes au regard de la déformation excessive du modèle que chacun constate au quotidien.
Nous sommes en plein dans ce moment délicat : Politique monétaire excessive ; inégalités croissante ; perte d’espérance ; baisse de la consommation ; montée du populisme ; partage inégale de la valeur ajoutée ;  … Pour le moment, l’ensemble de ces signaux faibles laissent à penser que la situation n’est pas heureuse… mais personne ne sait aujourd’hui quel sera le grain de sable qui déclenchera la crise et permettra au système économique de s’ajuster aux fondamentaux de la société.
 
En revanche, je crois que le bon sens de l’homme de la rue (= l’opinion publique majoritaire) finit par avoir raison face à l’économiste car c’est l’homme de la rue qui fait l’économie réelle ! Ce n’est qu’une question de temps et d’équilibre. 
Enfin, je ne peux que vous encourager à lire ou relire cet article passionnant « Les petites histoires font les grandes crises » autour de la question de la narration économique et de la construction des crises économiques et pourquoi c’est l’homme de la rue qui fait l’économie :

« Pour comprendre certains phénomènes économiques, il faut scruter les histoires, les petites anecdotes, les légendes urbaines qui se transmettent au sein des sociétés.

Pour saisir la portée de l’idée, il faut faire un détour par les explications traditionnelles des crises. Elles mettent l’accent, pour la plupart, sur des causes macroéconomiques qui dépassent souvent les facultés de compréhension du non-initié. Milton Friedman et Anna Schwartz expliquent ainsi la crise des années 1930 par une suite de phénomènes monétaires complexes consécutifs à une décision de la FED. La crise de la dette grecque trouve ses racines profondes dans des problèmes de convergence entre les pays de la zone euro, de réseaux bancaires européens, de parité non couverte des taux d’intérêt et de cycle économique.

Ces explications peuvent s’avérer très convaincantes au sein du champ académique. Mais elles n’expliquent que partiellement pourquoi, au cœur de la tempête, les gens ont agi comme ils l’ont fait. Peu de ménages américains comprenaient les agissements de la FED au début des années 1930, et tout aussi peu de ménages européens saisissent parfaitement tous les ressorts de la crise grecque. Ils sont conscients de l’existence et des conséquences de ces crises, puisqu’ils les vivent au quotidien. Mais ils les appréhendent, affirme Shiller, à travers des histoires, des anecdotes, des petits récits – des « narratives ».

Une narrative a trois caractéristiques : elle est explicative d’un phénomène social ou économique, elle est courte, et elle se transmet comme un feu de brousse – elle goes viral, pour reprendre l’expression anglaise. Ce sont ces narratives qui se trouvent au départ des crises et des cycles : elles déclenchent certains comportements au sein des sociétés qui, une fois agrégés, ont de grandes conséquences. Elles se transmettent à travers des discussions, des journaux télévisés, des romans ; elles portent sur des personnages-types, des actions exemplaires, des décisions prises au moment fatidique. Elles cristallisent les remous et les turbulences de l’histoire à travers des armes de communication acérées, dont on se souvient facilement, et que l’on raconte à ses collègues autour d’un verre.

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Autre exemple : la récession de 1921. La cause profonde en est assez bien connue : encore une fois, la FED est dans le coup. Elle est cependant bien trop complexe pour avoir affecté les décisions de consommation de millions d’Américains. À travers une analyse lexicale des récits, romans et articles de journaux de l’époque, Shiller montre que ce sont de multiples narratives anxiogènes qui sont ici à l’œuvre : celle de « profiteurs » facturant des prix exorbitants à une population exsangue après le conflit mondial ; celle des révolutions européennes, cristallisée par le destin tragique de la famille impériale russe ; celle de la grippe espagnole qui décime la jeunesse. Toutes ces histoires convergent finalement en un sentiment de peur et d’inquiétude, qui conduit les Américains à restreindre leur consommation.

Le dernier exemple vous parlera encore davantage. La phrase « trop d’impôt tue l’impôt » vous est sûrement familière ; elle porte en économie le nom de « courbe de Laffer », d’après son concepteur, Alfred Laffer.

Elle est à la base de milliers de décisions politiques et fiscales. Elle a fourni un terreau idéologique à une grande partie de la droite libérale et conservatrice. Elle a été le charbon économique de multiples campagnes électorales. D’où lui vient ce succès considérable ? L’histoire est familière aux étudiants d’économie : Laffer déjeune avec un conseiller de Nixon, et dessine, sur une serviette blanche, la fameuse courbe qui lie taux d’imposition et recette. Séduit, Nixon en fait un élément central de sa campagne. Sauf que… cette histoire a de bonne chances d’être complètement fausse. Comme l’explique T. Taylor sur son blog, la popularité de cette idée ne date pas de 1974, date à laquelle Laffer conceptualise la courbe, mais de 1978. Cette année-là, Jude Wanniski, éditorialiste célèbre du Washington Post, publie dans National Affaires un article éloquent qui décrit la naissance de cette courbe sur un coin de table du Two Continents à Washington. L’idée se répand comme une traînée de poudre. L’histoire est probablement très romancée – Laffer lui-même admet ne pas s’en souvenir en détail – mais Wanniski est un excellent journaliste : il a le sens des mots et du storytelling. Sans le savoir, il vient de concevoir l’une des narratives économiques les plus efficaces du XXe siècle »

 
A suivre…