L’enjeu électoral français aura une influence sur le marché

A une semaine du premier tour des élections présidentielles, à un moment où la problématique des dettes souveraines européennes refait surface, il nous semble nécessaire de construire un scénario d’investissement pour les deux prochains mois, jusqu’aux législatives.

Cet exercice reste évidemment périlleux, et que l’on ne se méprenne pas sur cet objectif, il ne s’agit que d’un cadre de réflexion, plutôt froid et pragmatique, destiné à éclairer l’investisseur et à optimiser les placements au cours de cette période, évidemment en dehors de tout jugement à caractère politique, domaine qui reste naturellement du domaine privé.

 

Depuis la crise, le risque pays réapparait

Depuis une vingtaine d’années, en Europe, l’impact des politiques locales sur les marchés financiers est de plus en plus limité. L’internationalisation des marchés, les dynamiques des flux relèguent en effet en arrière-plan l’influence que peuvent avoir sur les marchés, des décisions de politique locale, puisque les décisions structurantes sont prises dans un cadre européen.

L’émergence de la question des dettes souveraines a quelque peu changé la donne, on a ainsi pu constater des « différentiels pays » assez importants dans les comportements des marchés avec un net découplage des performances boursières : plutôt bonnes dans les pays du Nord et assez mauvaises dans le Sud. Ceci légitime donc cette approche. L’autre raison qui nous pousse à cette analyse est que l’élection française aura certainement des répercussions sur l’orientation de la construction européenne, ce qui n’a pas toujours été le cas. Ces précautions étant faites, déroulons notre scénario.

 

Vers une victoire de François Hollande, seule l’ampleur est une question

L’état actuel de l’opinion, son évolution depuis deux mois, indique que nous allons vraisemblablement assister à une victoire de François Hollande, avec un écart qui pourrait être assez substantiel.

C’est donc ce contexte qu’il faut sérieusement analyser et surtout anticiper les effets et donc les mesures à prendre afin, au moins à court terme, d’optimiser les investissements. Allons plus loin dans ce diagnostic, car peut être plus que ce nouveau Président et son programme, c’est le nouveau rapport de force politique qui va sortir des urnes qui sera lourd de conséquences. Là encore, notre hypothèse est un renforcement de l’aile gauche de l’échiquier, qui va chercher à peser aussi bien dans la composition du gouvernement que dans l’aspect programmatique (Mélanchon ne voudra pas tactiquement rentrer au gouvernement pour maintenir et faire fructifier son pécule électoral, mais son allié communiste, pourrait désirer, ne serait-ce que pour des raisons financières, s’associer à un programme de gouvernement).

De l’autre côté de l’échiquier, nous bâtissons notre scénario sur un ralliement post premier tour de Bayrou au Président sortant, fort du statut de premier ministre potentiel qu’il aura obtenu, et avec l’espoir de restructurer en cas d’échec une sorte de nouveau parti « républicain ». Cette hypothèse, vue sous l’angle européen, n’est pas sans poser quelques problèmes sérieux à court terme. Tout d’abord, dans la situation financière qui reste très préoccupante pour l’Europe et pour la France, on voit bien que l’idée d’un consensus politique et donc social va s’éloigner. Il y aura ainsi une perte d’efficacité de la politique qui sera menée.

 

Les marchés vont certainement tester la solidité du nouveau pouvoir

Vu la crise, on ne peut imaginer l’existence d’un état de grâce et il faudra un Président particulièrement pugnace et rigoureux pour respecter une feuille de route assez compliquée, alliant diminution des déficits et relance de la croissance afin de respecter ses engagements devant les Français.Ce qui va être inquiétant est la réaction des marchés financiers à ce type de scénario.

Nous pensons, au moins à court terme, qu’il y aura très nettement une volonté de leur part de tester la résistance française en faisant pression sur les taux français. Plus le politique donnera le sentiment d’une faiblesse, plus l’attaque sera forte, la Grèce, l’Espagne et l’Italie ont par le passé eu à expérimenter ce scénario. Il n’est d’ailleurs pas anodin qu’Eurex (filiale de Deutsche Börse), qui gère l’un des plus importants marchés de dérivés au monde ait décidé de lancer lundi 16 avril, soit six jours avant l’élection, un nouveau produit financier lié à l’évolution des emprunts d’État français. Ce contrat à terme doit permettre aux investisseurs de parier sur la hausse ou la baisse des taux des obligations françaises (OAT).

Ce type d’instrument va permettre aux investisseurs de se protéger contre les variations de taux d’intérêt des obligations d’État français et de couvrir leurs positions. Il existe déjà des contrats à terme sur les dettes de la majorité des grands pays tels l’Allemagne, l’Italie depuis deux ans, la Grande-Bretagne ou encore les États-Unis. Rappelons que ces contrats à terme sur la dette française existaient déjà dans les années 1990.

Après leur disparition, les investisseurs qui souhaitaient se protéger contre la hausse des taux français achetaient des contrats à terme sur l’emprunt d’État allemand. On peut évidemment s’interroger sur le « timing » de ce lancement, qui pourrait valider notre sentiment. Nous verrons donc dès lundi par le montant des transactions sur ce nouveau produit si des mouvements spéculatifs apparaissent.

 

La solution sera à nouveau dans la capacité de l’Europe à réagir

Ce test de la solidité française et de la réactivité du gouvernement à venir va constituer l’enjeu essentiel de ces prochaines semaines. Evidemment, la lenteur des réactions par rapport aux dettes espagnoles et grecques ne sont pas de bon augure. Les vieilles recettes utilisées dans le passé, (utilisation des banques et de la Banque de France pour soutenir les taux) ne sont plus possibles. On en revient alors obligatoirement à une discussion avec l’Allemagne (on peut imaginer que dans la situation actuelle, les autres principaux pays européens auront plutôt intérêt à soutenir la position française).

Sans reprendre l’optimisme « provocateur » de Patrick Artus (note du 12 avril) « L’Allemagne doit céder sur tout », on peut reprendre quelques arguments. « Le coût pour elle d’une explosion de l’Euro est colossal quand on ajoute la perte de compétitivité-coût et les pertes en capital sur les actifs extérieurs de l’Allemagne. Donc au final, l’Allemagne devra accepter successivement le changement de rôle de la BCE dans le financement des pays en difficulté et aussi un certain fédéralisme, seul moyen de rendre stable l’Union Monétaire ».

Toute la question est de connaître le temps de cette prise de conscience car la période récente a démontré une chose : le temps des marchés n’est pas celui des politiques. Le problème est que si la France est vraiment attaquée, c’est toute l’Europe qui en sera affectée. Finalement, on verra aussi s’il existe des apprentis-sorciers ! Ce qui est certain est que le nouveau Président devra faire preuve de compromis, de tact, tout en étant crédible, c’est aussi la raison pour laquelle la composition du gouvernement et la lecture qui en sera faite par le marché sera primordiale.

 

CONCLUSION

En conclusion, si la campagne ne semble pas avoir, pour l’instant, répondu aux attentes des français, il est possible que les questions économiques redeviennent d’actualité entre les deux tours et permettent une clarification des positions. Si notre scénario est le bon, nous ne serons plus dans une lecture fondamentale des marchés, mais dans une version « spéculative » au sens premier du terme, qui devrait voir peut être le marché aller tester des plus bas annuels. Même après la forte baisse de ce début du mois, la prudence doit s’imposer. Nous ne serions pas surpris de revenir au niveau du CAC 40 vers les 3000 points.

 

 

 

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