Le saviez-vous ? Loger votre enfant gratuitement dans un bien vous appartenant n’est pas toujours neutre d’un point du vue fiscal.

Cette situation est, certes, étonnante à première vue, mais bien réelle : une telle mise à disposition peut être requalifiée en donation ou même parfois elle est imposable au titre des revenus fonciers.

Dans certains cas, le manque à gagner sera néanmoins déductible pour le calcul de l’impôt sur le revenu du parent qui met son logement à disposition de son enfant.

Comment procéder ? Êtes-vous obligés de convenir du versement d’un loyer ? La mise à disposition d’un logement à titre gratuit pour l’un de vos enfants peut-il être problématique vis-à-vis de ses frères et sœurs ?

Rassurez-vous, des solutions existent pour vous permettre de disposer de votre patrimoine comme vous l’entendez. Cependant, il est nécessaire de connaître les limites de ces procédés. Voici les trois commandements pour un hébergement gratuit et sans accroc.

Distinguer l’obligation d’entretien de l’abus de droit

Obligation d’entretien

En lisant les premières lignes de cet article, vous vous dites peut-être :

« Mais je suis pourtant dans l’obligation de subvenir aux besoins de mes enfants ! Cela n’aurait pas de sens de leur demander une contrepartie financière. »

Vous avez raison. Le Code civil prévoit l’obligation d’entretien des enfants dans son article 371-1. Il précise également, dans son second alinéa, que la majorité ne met pas un terme à cette obligation.

Vous êtes tenu de lui apporter votre aide s’il n’est pas en mesure de subvenir seul à ses besoins. Dans ce cas, vous êtes en devoir de le loger gratuitement.

L’exemple le plus parlant demeure celui de l’étudiant majeur : ne disposant que de revenus modestes, il ne peut pas payer un loyer par ses propres moyens.

La mise à disposition gratuite de votre bien immobilier répond ainsi à votre obligation légale, quel que soit l’âge de votre enfant. Aucune requalification n’est encourue.

Donations indirectes et déguisées

En dehors de cette situation, le simple hébergement de longue durée d’un enfant pourrait être assimilé à une donation indirecte.

Qu’est-ce qu’une donation indirecte ? Il s’agit d’une opération ayant pour finalité d’avantager un tiers (en l’espèce, l’enfant du donateur). Elle nécessite :

  • une intention libérale ;
  • l’appauvrissement du donateur ;
  • l’enrichissement du donataire.

Par conséquent, peut être considérée comme telle la mise à disposition sans contrepartie d’un logement au profit d’un enfant ayant une situation financière stable.

En pratique, l’intention libérale est difficilement identifiable. Le risque de requalification est donc moindre (mais pas inexistant).

À noter : le fait de loger vos enfants majeurs à votre domicile ne constitue en rien une donation. En effet, la jurisprudence reconnaît que, dans cette hypothèse, l’hébergeur n’est pas appauvri ou s’il s’est appauvri, l’intention libérale n’existe par réellement.

4 arrêts de la Cour de cassation du 18 janvier 2012 sont aujourd’hui considérés comme à l’origine de cette position jurisprudentielle  (Cass. 1re civ., 18 janv. 2012, n° 09-72542 – Cass. 1re civ., 18 janv. 2012, n° 10-25685 – Cass. 1re civ., 18 janv. 2012, n° 11-12863 – Cass. 1re civ., 18 janv. 2012, n° 10-27325).

Il résulte de ces arrêts fondateurs qu’une mise à disposition gratuite d’un logement considéré comme une donation rapportable que dans la mesure où elle s’analyse en une libéralité, ce « qui suppose un appauvrissement du disposant dans l’intention de gratifier son héritier (= appauvrissement & l’intention libérale ) ».

Par cette formulation, la haute juridiction décidait qu’une mise à disposition gratuite pouvait constituer une libéralité pour autant que ses deux éléments caractéristiques soient réunis : l’élément matériel, l’appauvrissement du propriétaire du bien immobilier qui ne perçoit pas un revenu mais aussi, position nouvelle de la haute cour à l’époque, l’élément intentionnel, c’est à dire la volonté de gratifier, la volonté de transférer son patrimoine au profit de l’enfant.

L’intention libérale est, en pratique, difficile à démontrer : il ne peut pas se déduire du seul appauvrissement du parent (Cass. 1re civ., 24 sept. 2003, n° 00-21035).

L’hébergement d’un enfant est le plus souvent considéré par les parents comme un devoir familial, une générosité naturelle, l’expression d’un amour familial, une exécution de leur devoir d’entretien ou un service rendu en contrepartie d’autres services, ce qui exclut de caractériser la mise à disposition d’un logement d’une véritable intention de transférer le patrimoine au profit de l’enfant.

Ainsi, si la théorie pourrait permettre de considérer la mise à disposition d’un logement comme une donation, la pratique est tout autre faute d’intention libérale.

Bref, vous pouvez assez librement laisser un logement à disposition gratuite de votre enfant. Les risques de requalification fiscale et civile sont en réalité très faibles, voir nuls.

De surcroît, si votre enfant est dans le besoin car il ne dispose pas des moyens financiers pour satisfaire à ses besoins élémentaires par son travail, la mise à disposition d’un logement peut être considérée comme une pension alimentaire dont le montant sera déductible de l’impôt sur le revenu dans la limite de 6368€ ou même 12736€ (si votre enfant majeur est célibataire chargé de famille et vous subvenez seul à ses besoins ou si votre enfant est marié ou pacsé et vous subvenez seul aux besoins du couple).

Qu’en est-il de la conclusion d’un bail prévoyant le versement d’un loyer modique ?

Une intention d’avantager l’enfant locataire se cache en réalité derrière un acte à titre onéreux : c’est une donation déguisée.

Le contrat de location pourra également être qualifié de donation et, ainsi, exposer les co-contractants à des risques civils (vis-à-vis des frères et sœurs) et fiscaux.

Anticiper les risques de telles pratiques

Pour le parent propriétaire

En cas de loyer modique, le parent s’expose à une menace fiscale directe.

En effet, à l’occasion d’un contrôle de l’administration, un redressement est encouru. Dans la mesure où seul le loyer modique est pris en compte pour le calcul des impôts, une compensation sur la base de la valeur locative pourrait être réclamée au propriétaire.

Néanmoins, si les conditions de déductibilité fiscale des pensions alimentaires sont remplies, vous pourrez considérer cette « réduction » sur le loyer de marché comme une pension alimentaire déductible de l’impôt sur le revenu comme explicité ci-avant.

Source : Brochure pratique impôt sur le revenu 2024

En principe, les fruits générés par un bien dont le propriétaire se réserve la jouissance ne sont pas soumis à l’impôt sur le revenu. Cette règle est notamment applicable en cas de logement à titre gratuit d’un proche, sans conclusion d’un bail.

Cependant, l’impôt est dû lors d’une mise en location. C’est donc en toute logique que l’administration fiscale demandera une rectification de la situation frauduleuse. Il faut bien comprendre qu’il est fiscalement différent de louer à pour un faible loyer ou proposer un logement à titre gratuit.

Un tel contexte est donc à proscrire : cela pourrait vous coûter cher. Outre l’impôt sur le revenu, des intérêts de retard peuvent y être additionnés.

Pour l’enfant bénéficiaire

Au cours de l’occupation du logement, le risque est minime. C’est lors de l’ouverture de la succession du parent propriétaire que la situation se corse. 

En effet, les co-héritiers peuvent demander la requalification de l’opération en libéralité afin qu’elle soit rapportable à la succession. De cette manière, une certaine égalité est rétablie entre eux.

Néanmoins, pas de panique excessive. L’intention libérale sera d’une grande complexité à démontrer comme explicité ci-avant.

Encadrer juridiquement la mise à disposition du logement

À chaque problème sa solution. Le législateur et la jurisprudence ont validé l’usage de différents actes alliant légalité et gratuité.

Prêt à usage ou commodat

Le prêt à usage, également appelé « commodat » est défini par l’article 1875 du Code civil comme « un contrat par lequel l’une des parties livre une chose à l’autre pour s’en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s’en être servi ».

Cet acte se caractérise par sa gratuité : il est donc idéal dans notre cas d’espèce. De manière contractuelle, le prêteur met le bien à disposition de l’emprunteur sans contrepartie financière.

Un cadre juridique est donné à la situation de fait, écartant ainsi la qualification de libéralité. La jurisprudence approuve ce montage, avançant que le parent ne se trouve pas appauvri, écartant ainsi une des caractéristiques essentielles de la donation (Cass. 1ère civ. 11 octobre 2017 n° 16-21.419).

Le prêt à usage est un acte idéal pour conserver une gratuité totale sans risque civil ou fiscal. Il ne présente aucune conséquence pour l’enfant puisque le contrat de prêt ne sera pas pris en compte dans le calcul des droits successoraux. Nous l’évoquions déjà dans cet article « Le commodat pour protéger le logement du concubin sans droits de succession« 

Pour être valide, le commodat doit consacrer expressément et sans équivoque :

  • l’absence d’intention libérale ;
  • le non-appauvrissement du prêteur.

Mon conseil : bien que vous soyez en mesure de conclure aisément un prêt à usage sous seing privé, un acte authentique est tout recommandé. La moindre approximation pourrait être utilisée, lors de l’ouverture de la succession, pour invoquer le rapport successoral.

Il est indispensable de le rédiger avec soin et exactitude.

Donation d’usufruit temporaire et préciputaire

Si vous souhaitez que l’aide apportée à votre enfant soit reconnue en tant que réel avantage, cette donation est faite pour vous.

Elle permet :

  • De donner l’usufruit du bien pour une durée déterminée. Le donataire peut ainsi en user à sa guise jusqu’à l’extinction dudit usufruit temporaire.
  • D’imputer la donation sur la quotité disponible et non sur la part de réserve de l’enfant. Il s’agit d’une donation hors part successorale.

L’avantage octroyé au bénéficiaire est, dans ce cas, évident et acté. Les risques civils et fiscaux encourus sont supprimés puisque le caractère libéral est d’ores et déjà établi.

Le principal inconvénient de cet acte demeure son coût. Devront être acquittés :

En ce qui concerne ce dernier point, le montant de la donation correspond à la valeur de l’usufruit temporaire. La méthode de calcul de ce dernier diffère de celle applicable à l’usufruit classique.

Ainsi, le montant est évalué à 23 % de la pleine propriété par tranche de 10 ans.

Par exemple, dans le cas d’un appartement évalué à 250 000 € :

  • Pour une donation de 0 à 10 ans, l’usufruit temporaire est évalué à la somme de 57 000 €.
  • Pour une donation de 11 à 20 ans, l’usufruit temporaire est évalué à la somme de 115 000 €.
  • Pour une donation de 21 à 30 ans, l’usufruit temporaire est évalué à la somme de 172 500 €.
  • etc.

Du côté du donateur, certains avantages font surface :

  • en tant que nu-propriétaire, il n’assume que les grosses réparations, les charges demeurant à la charge de l’usufruitier ;
  • le bien n’est pris en compte ni dans le calcul de l’impôt sur la fortune immobilière, ni dans celui de l’impôt sur le revenu.

Vous souhaitez en savoir plus sur les moyens d’avantager vos enfants ? Consultez notre article relatif aux différentes possibilités de faire une donation à ses enfants.

Dispense de rapport par testament

Il est également possible de prévoir, par dispositions testamentaires, que l’avantage constitué par la mise à disposition du logement est dispensé de rapport.

Dans ce cas, quid de l’identification de l’intention libérale, de la requalification en donation et des conséquences afférentes…

Conclusion.

Le versement d’un loyer dérisoire semble être l’option la plus défavorable.

Même si le simple hébergement semble difficilement requalifiable en donation au regard de la difficulté inhérente à la preuve du caractère libéral, optez pour la prudence. La sécurité juridique que représente le commodat compense le coût de rédaction de l’acte par votre notaire.

Enfin, lorsque votre enfant ne dispose pas de revenu ou insiffissament, n’oubliez pas de déduire le manque à gagner que représente la mise à disposition de votre logement comme une pension alimentaire déductible au titre de l’impôt sur le revenu.

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