Il est de coutume de considérer qu’une donation-partage doit être égalitaire, c’est-à-dire qu’elle permet d’attribuer des biens de valeur identique à chacun des enfants.

Il s’ensuit diverses manipulations autour de la valeur des biens donnés pour essayer de faire des lots égalitaires sur le papier, qui ne le sont pas en réalité. Un équilibre précaire et source de conflits familiaux alors même qu’il est tout à fait envisageable de réaliser une donation partage de lot inégalitaire. Une donation partage inégalitaire qui devra néanmoins être maniée avec finesse.

En effet, si l’anticipation est la clef d’une transmission réussie et le partage, pour éviter l’indivision, indispensable pour éviter que les enfants ne se déchirent au jour du décès, il faut bien avouer qu’il est parfois difficile de le mettre en œuvre dans la vraie vie.

Le partage, aboutissement d’une donation-partage, c’est l’idée d’un parent qui organise la répartition de son patrimoine entre ses enfants.

Chacun des enfants se voit allotir de tel ou tel bien.

Un allotissement qui évitera bien souvent l’écueil d’une famille qui se déchire lors du règlement de la succession pour savoir qui recevra la maison de papy ou la résidence secondaire en Bretagne et surtout sur leur valeur retenue pour assurer l’équité de la transmission.

La donation-partage permet de régler ces problèmes de lot et de répartition du patrimoine du vivant du futur défunt.

Malheureusement, la question centrale est de réussir à faire des lots « égalitaires » au jour de la donation-partage.

Un patrimoine, ce sont des actifs facilement divisibles (actions, compte-titres, placements, parts de société) et d’autres plus difficilement partageables (bien immobiliers). Comment faire pour partager en deux un patrimoine de 450 000€ composé d’une résidence secondaire valorisé 250 000€ et d’un appartement locatif 200 000€ ?

Faut-il tricher sur les valeurs pour imposer un partage égalitaire sur le papier, mais inégalitaire en réalité ? Je ne crois pas.

La donation-partage inégalitaire est alors la solution. Une donation-partage inégalitaire, c’est l’idée d’une donation qui ne porte pas sur des valeurs de bien identique.

L’intérêt de la donation partage et la question de la donation partage inégalitaire est parfaitement résumé dans le rapport du 116ième congrès des notaires de 2020 :

« La donation-partage est un acte libéral, de générosité, et c’est par cette première nature qu’elle constitue un support important de protection. Mais, à cet attrait, s’ajoute celui de sa fonction répartitrice. La donation-partage est réellement une opération de partage. Elle permet donc d’anticiper la répartition de ses biens entre ses présomptifs héritiers et d’éviter ainsi les effets pervers d’une mésentente entre les héritiers, les méfaits d’un tirage au sort et les conséquences malheureuses d’une procédure de partage judiciaire.

Le disposant jouit d’une grande liberté pour confectionner les lots qu’il entend attribuer à ses présomptifs héritiers. Tous les biens dépendant de son patrimoine et dont il peut disposer librement peuvent faire l’objet d’une donation-partage. Celle-ci peut donc porter sur des immeubles, sur des parts ou actions de société, sur un fonds de commerce, artisanal ou libéral (sous réserve que l’attributaire respecte les conditions d’exploitation de ces fonds lorsqu’elles sont réglementées), un portefeuille de titres, des objets mobiliers (meubles corporels) ou des biens incorporels (brevets), ou enfin une somme d’argent.

 Les lots attribués dans la donation-partage peuvent comprendre des droits de nature différente. Ainsi il peut être fait usage du démembrement de propriété et il peut être attribué des biens en nue-propriété, le donateur s’en réservant l’usufruit, ou bien l’usufruit de ce même bien figurera dans le lot d’un autre copartagé. Il peut être également donné et attribué un droit d’usage et d’habitation.

Enfin, lorsqu’il apparaît une différence de valeur entre les lots, alors il peut être convenu le versement d’une soulte entre les copartagés. Une donation-partage pourrait même prévoir l’attribution du seul bien donné à l’un des présomptifs héritiers, et aux autres une soulte due par le premier copartagé.

La donation-partage : un partage qui peut être inégalitaire. – On sait que le principe d’égalité a toujours dominé les opérations de partage. D’abord égalité en nature, puis égalité en valeur. Ce principe d’égalité était sanctionné par la rescision pour lésion puis par l’action en complément de part. La donation-partage n’est plus, depuis la loi du 3 juillet 1971, soumise à ce principe d’égalité et peut donc être inégalitaire. La donation-partage s’est ainsidétachée de la dévolution légale, laissant ainsi une place importante à la volonté du disposant et des copartagés. Le souci d’une bonne répartition est devenu la priorité plus qu’une égalité arithmétique.

La donation-partage « a vocation à gratifier autant qu’à partager ». La nature de pacte de famille permet d’entériner que certains soient davantage gratifiés que d’autres. La seule limite à cette rupture de l’égalité est le respect de la réserve individuelle de chacun des héritiers.

Mais il faut être conscient que ce désavantage de certains peut certes être acquis au jour de la donation-partage parce que la différence des valeurs des lots en témoigne, mais peut aussi être démultiplié au décès par le jeu de l’article 1078 du Code civil qui énonce que si tous ont concouru à la donation-partage et si l’acte de donation ne porte pas sur une somme d’argent avec une réserve d’usufruit, les valeurs figurant à l’acte seront prises en compte pour le calcul de cette réserve individuelle. Cet article 1078 n’est pas d’ordre public et il est loisible, voire conseillé en cas de donation-partage inégalitaire d’en exclure l’application.

La donation-partage inégalitaire étant licite, la clause apparue en pratique, dite de « donation d’excédent de lot », est devenue totalement inutile (clause qui conférait un avantage préciputaire si le lot d’un des copartagés s’avérait supérieur à celui auquel il aurait pu prétendre).

Si la donation-partage inégalitaire est valide, il est naturel et conseillé de respecter autant que possible l’égalité dans la valeur des lots. Pour autant, il ne faudrait pas que les valeurs de ces lots soient « arrangées » pour rendre égalitaire une donation qui ne l’est pas. Ces évaluations fictives (sous-évaluation d’un lot ou surévaluation d’un autre) pourraient être remises en cause par la suite, et l’héritier réservataire défavorisé pourrait invoquer la valeur réelle des biens au jour de l’acte pour leur voir appliquer l’article 1078 du Code civil.

Il est de bonne précaution de faire procéder par des professionnels à une juste et précise évaluation des biens objet des donations-partages afin de les rendre encore plus puissantes et incontestables. On ne peut également que conseiller de décrire avec précision les biens dans l’acte de donation-partage. Il pourrait même être annexé un dossier de diagnostics techniques comparable à celui obligatoirement annexé aux ventes d’immeubles.

Source : Rapport du 116 ième congrès des notaires

Dans notre exemple, un enfant pourrait recevoir la nue-propriété de la résidence secondaire et l’autre la nue-propriété de la résidence locative.

L’objectif ici n’est pas de favoriser un enfant au détriment de l’autre. L’objectif est de préparer la succession et la répartition du patrimoine entre les enfants. Cet objectif d’égalité ou non devra être confirmé dans l’acte de donation partage qui sera en avancement de part successorale.

L’équité entre les deux enfants devra être assurée à l’occasion du règlement de la succession.

Article 1077 du Code Civil : « Les biens reçus par les descendants à titre de partage anticipé constituent un avancement d’hoirie imputable sur leur part de réserve, à moins qu’ils n’aient été donnés expressément par préciput et hors part. »

Ainsi, la donation devra contenir la volonté du donateur. Le donateur souhaite-t-il avantager un enfant au détriment de l’autre ou s’agit-il simplement d’un allotissement inégalitaire, faute de biens immobiliers permettant d’assurer l’égalité, qui devra être « compensée » au jour du décès ? (en ce sens : Versailles 1ère CH. 1ère section 15 juin 2018 n°15/0841).

Article 1075-3 du Code Civil : « Si tous les biens que l’ascendant laisse au jour de son décès n’ont pas été compris dans le partage, ceux de ses biens qui n’y auront pas été compris seront attribués ou partagés conformément à la loi. »

La jurisprudence s’est saisie de cette question de la liquidation des donations partage inégalitaire avec deux solutions alternatives dite « Paris-Carpentras » ou « Paris-Province ».

Extrait : rapport 116ième congrès des notaires

La première méthode revient à rétablir une meilleure égalité entre les cohéritiers : l’héritier qui n’avait pas reçu sa réserve reçoit davantage dans la mesure où non seulement il reçoit sa part de réserve individuelle, mais il prend également une part de l’actif existant. La seconde méthode, moins généreuse avec cet héritier aux droits minorés, revient à limiter ses droits à sa réserve héréditaire. Aucune doctrine dominante ne semble se dégager sur cette bien embarrassante question671. Nous rejoignons Bernard Vareille dans l’idée qu’il ne faut peut-être pas avoir une position absolue et indifférenciée. La réponse sur la technique liquidative à adopter résulte sans doute de la volonté du disposant. La donation-partage inégalitaire était peut-être égalitaire au départ, mais parce que l’article 1078 du Code civil ne trouve pas à s’appliquer, elle ne l’est plus au décès ; dans ce cas, la méthode provinciale devrait être préférée. Par contre, si la volonté du de cujus était de véritablement limiter un des héritiers à sa réserve, alors la méthode parisienne devrait prévaloir. Une indication dans l’acte de donation-partage serait la bienvenue !

Source : rapport du 116ième congrès des notaires

Bref, la donation partage inégalitaire est tout à fait possible et envisageable… mais l’instabilité doctrinale ne permet pas de l’envisager avec une sérénité absolue. Le risque est de maintenir l’inégalité initiale est grand.

Le donation-partage avec soulte payable à terme serait elle la solution pour réaliser (plus) sereinement une donation partage inégalitaire ?

Et si la solution résidait tout simplement dans une donation-partage avec soulte payable à terme ?

Le rapport du 116ième congrès des notaires toujours propose avec justesse :

Lorsqu’il apparaît une différence de valeur entre les lots, alors il peut être convenu le versement d’une soulte entre les copartagés.

Une donation-partage pourrait même prévoir l’attribution du seul bien donné à l’un des présomptifs héritiers, et aux autres une soulte due par le premier copartagé.

Si la soulte est payable à terme son bénéficiaire, devenant créancier d’une somme d’argent, pourra non seulement bénéficier du privilège de copartageant, mais aussi de la réévaluation de la soulte à la date de son paiement, si le bien attribué à son débiteur a augmenté ou diminué de plus du quart de sa valeur initiale apprécié bien évidemment dans son état au jour de la donation.

On voit ici que le créancier de la soulte, si le bien de son copartagé a perdu de sa valeur, subira une perte dans la même proportion. Ce qui peut lui paraître injuste, car non seulement par le paiement à terme de la soulte il n’entrera véritablement en possession de son attribution qu’à son paiement alors que son copartagé reçoit le bien immédiatement, mais de plus il subira une baisse de plus du quart de la somme à recevoir.

Si l’un des copartagés est attributaire d’un bien en plein propriété à charge pour lui de verser une soulte à terme, alors l’acte devient déséquilibré. Par contre, si le bien est grevé d’un usufruit, il peut paraître logique de stipuler le paiement de la soulte au jour où l’usufruit sera éteint. La soulte devra être valorisée en fonction de la valeur du bien en pleine propriété car l’usufruit s’est éteint. En ce cas, la solution ne choque pas. Dans la donation-partage, ce système de revalorisation des soultes est d’ordre public.

Il s’agit tout simple de l’application de l’article 828 du code civil : « Lorsque le débiteur d’une soulte a obtenu des délais de paiement et que, par suite des circonstances économiques, la valeur des biens qui lui sont échus a augmenté ou diminué de plus du quart depuis le partage, les sommes restant dues augmentent ou diminuent dans la même proportion, sauf exclusion de cette variation par les parties.« 

A défaut, vous devrez vous contenter d’une donation simple…. Une donation partage faussement égalitaire n’apparaît pas la meilleure stratégie, c’est pourtant une situation que nous rencontrons quotidiennement.

A suivre…