Parfois, nous avons une pratique empreinte d’automatismes. Nous avons tellement l’habitude de prodiguer tel ou tel conseil que nous en oublions de réfléchir à l’intérêt réel de la préconisation.

Il y a quelques mois, nous avons réfléchi sur l’intérêt réel de la donation partage par rapport à la donation simple. En effet, sous couvert d’une absence de rapport civil, la donation partage est souvent à l’origine d’une donation inégalitaire entre les enfants. Il s’agit là d’une réflexion importante que nous vous avons proposé dans cet article « Succession : Les différentes possibilités pour faire une donation à ses enfants. »

Travaillons aujourd’hui sur la question de la donation avec réserve d’usufruit, c’est à dire de la donation de la nue propriété aux enfants avec un usufruit réservé au nom des parents. Classique de chez classique, la donation avec réserve d’usufruit (cf. « La donation avec réserve d’usufruit réversible au profit du conjoint« ) est avant tout une opération fiscale qui vise à réduire les droits de succession.

De leur vivant, les parents donateurs conservent la jouissance du bien donné, c’est l’usufruit ; Jouissance qui se traduit par la perception des loyers, l’occupation de l’immeuble ou encore la mise à disposition à titre gratuit à un tiers, mais également l’obligation de payer les charges d’entretien de l’immeuble, et d’engager les travaux de rénovation et autre taxe foncière.

Les enfants donataires ne redoivent pas grand-chose, sauf le droit d’attendre le décès de leur parent donateur (et le plus souvent des deux parents avec l’insertion d’une clause d’usufruit réversible).

L’intérêt est ici principalement fiscal. Il s’agira d’utiliser les abattements disponibles (et donc espérer leur renouvellement 15 ans après la première donation) sans véritablement perdre le pouvoir sur la chose donnée puisque les donateurs continueront d’en profiter pendant toute leur vie.

Il s’agira également de profiter des bienfaits de l’article 1133 du code général des impôts qui dispose que « la réunion de l’usufruit à la nue-propriété ne donne ouverture à aucun impôt ou taxe lorsque cette réunion a lieu par l’expiration du temps fixé pour l’usufruit ou par le décès de l’usufruitier ».

Bref, la donation avec réserve d’usufruit est une vraie fausse donation qui permet de réduire les droits de succession sans véritablement s’appauvrir.

Ps : Oui, je sais. Les puristes m’expliqueront qu’il y a évidemment appauvrissement et intention libérale. Mais dans la vraie vie, si les donations avec réserve d’usufruit sont si nombreuses et probablement même majoritaires, c’est justement pour ce sentiment de donner sans donner.

Ps 2 : D’ailleurs, si j’étais ministre et à la recherche d’une solution pour encourager la circulation de l’argent entre générations, j’augmenterais les abattements disponibles afin d’encourager les donations… mais je les limiterais au donation en pleine propriété. Bref, je limiterais l’intérêt fiscal des donations avec réserve d’usufruit pour concentrer les avantages fiscaux sur les donations en pleine propriété. Mais, je ne suis pas ministre.

Devant autant d’avantages, les donations avec réserve d’usufruit sont systématiques et rares sont les parents qui s’engagent dans une donation en pleine propriété. Je crois qu’il s’agit là d’un mauvais calcul.

Pourquoi la donation en pleine propriété est parfois préférable à la donation avec réserve d’usufruit ?

Pour mieux comprendre le cadre de la réflexion, prenons un exemple dans lequel vous pourriez être très nombreux à vous retrouver.

Monsieur et Madame X sont âgés de 65 ans. Jeunes retraités, ils sont à la tête d’un patrimoine d’immobilier locatif important. Un patrimoine fruit d’une vie de travail et de l’obsession de se préparer une retraite convenable devant l’effondrement inévitable du système de la retraite par répartition.

Pourtant, malgré les pires prédictions depuis 30 ans, la retraite par répartition est plutôt solide et le montant des retraites suffisants pour financer la vie du quotidien. Ajouté aux revenus fonciers, Monsieur et Madame X ont des revenus supérieurs à leurs besoins de dépense.

Monsieur et Madame X épargnent, et parfois même très fortement.

Bref, Monsieur et Madame X ont un patrimoine important, des revenus élevés et une grande sérénité quant aux financement des 25 années d’une retraite qui s’annonce heureuse.

Monsieur et Madame X ont tout de même un problème : Ils ne savent pas quoi faire de leur épargne en assurance-vie. Déprimés par la médiocrité des rendements, ils ne savent plus quoi faire ? Prendre des risques et investir en actions ? Pourquoi pas… mais n’est ce pas une source de stress dont ils ont le luxe de pouvoir se passer ? Quant à faire une nouvel investissement immobilier locatif… Raz le bol de gérer les locataires et les travaux.

Bref, ils ont beaucoup de patrimoine, pas mal d’épargne dont ils ne savent plus quoi faire ou presque.

Dans le cadre de la préparation de la transmission de leur patrimoine, Monsieur et Madame X envisagent de réaliser une donation avec réserve d’usufruit d’un appartement pour chacun de leurs deux enfants :

  • Appartement 1&2 :
    • Valeur : 250000€ ;
    • Loyer :900€ par mois brut / 700€ net de charges et autres dépenses d’entretien et taxe foncière

La donation avec réserve d’usufruit consiste en la donation de la nue propriété des deux appartements à leurs deux enfants :

  • Donation de la nue propriété estimée à 70% de la valeur de la pleine propriété, soit 175 000€ ; Après abattement de 100 000€ / enfant / parent aucun droit de succession ne sera à payer.
  • Pendant toute leur vie, les parents continueront de percevoir les loyers :
    • Loyers sur lesquels, ils paieront de l’impôt sur le revenu au taux de 30% + 17.20% de prélèvements sociaux = 47.20%, soit (700*12)*2*47.20% = 7929.60€ d’impôt et prélèvements sociaux par an jusqu’à la fin de leur vie ; Soit pendant environ 23.5 ans. Au total, ce seront 7929.60€ * 23.50 = 186345€ qui devront être payés.
    • Monsieur et Madame X continueront de payer l’IFI sur la valeur de ces deux appartements, soit 0.70% * 500 000 = 3500€ par an pendant leur espérance de vie de 23.50 ans, soit 82250€.
    • Loyers sur lesquels les enfants paieront des droits de succession au taux de 20%. Monsieur et Madame X n’ont pas besoin de revenu. Ils épargnent. Il vont donc épargner les loyers net d’impôt qu’ils vont percevoir pendant les 23.50 prochaines années. Ce capital, dont il ne savent pas quoi faire, va s’accumuler, va probablement être mal investi pendant les 23.50 prochaines années avant de subir les droits de succession au taux de 20%. 700*12*2-186345 = 200 000€, soit 40 000€ de droits de succession supplémentaires.

Plusieurs points importants :

  • Monsieur et Madame X ont suffisamment de revenus et de patrimoine pour être serein pour les 25 ans de leur espérance de vie ; Ils ne savent plus comment investir leur épargne abondante mal rémunérée ; ils ne veulent plus s’embêter à investir, prendre des risques sur les marchés actions ou avoir des tracasserie avec des locataires ou des travaux dans l’immobilier locatif.
  • Une donation avec réserve d’usufruit semble être une bonne stratégie pour réduire les droits de succession, mais n’est ce pas une courte vue. En effet, lorsque l’on intègre l’impôt sur le revenu foncier, l’IFI, l’impossibilité de bien rémunérer l’épargne qui s’accumule et les droits de succession qui s’appliqueront sur le reliquat, on doit pouvoir en douter.
  • Les enfants nus propriétaire qui sont en âge d’avoir plein de projets d’investissement doivent attendre le décès de leur parent (et l’atteinte de l’âge qui n’autorise pas la même fougue) pour regretter d’avoir hérité si tard.

Et si la donation en pleine propriété était une meilleure stratégie d’optimisation globale de la succession ?

La donation en pleine propriété sera en apparence à l’origine d’une moindre optimisation des droits de succession. En effet, les abattements et droits de donation seront calculés sur la valeur en pleine propriété et non seulement sur la valeur de la nue propriété.

Un surcoût à court terme de droits de succession que l’on peut chiffrer à 20% * valeur de l’usufruit = 20% * 30% * 500 000 = 30000€.

Néanmoins, et c’est tout l’intérêt de la donation en pleine propriété :

  • Les parents ne percevront plus les revenus ; Les revenus seront versés aux enfants qui se chargeront de gérer les locataires, l’entretien de l’immeuble et payer l’impôt sur le revenu. Le taux d’imposition à l’impôt sur le revenu des enfants pourrait être plus faible que le taux d’imposition des parents ;
  • Les parents n’auront plus l’IFI à payer sur la valeur de ces deux biens immobiliers ;
  • Et surtout, les revenus nets d’impôt profiteront aux enfants qui sauront comment l’investir. Si à 65 ans, il est normal d’être fatigué et de ne pas vouloir s’embêter à gérer le stress de l’investissement en action ou continuer à investir dans l’immobilier ; A 40 ans, les enfants sont dans la force de l’âge et sauront utiliser les loyers pour se construire leur patrimoine. Il pourra s’agir d’acheter leur résidence principale, secondaire, locative, investir sur les marchés actions, créer une entreprise, financer l’étude des enfants…. L’épargne ne dort plus entre les mains des parents… elle est investie dans l’économie par les enfants.

Conclusion

Au final, la donation avec réserve d’usufruit est la meilleure solution pour réduire les droits de succession à court terme, mais cette courte vue pourrait finalement couter beaucoup plus cher à long terme.

La donation avec réserve d’usufruit n’est elle pas à réserver :

  • Aux parents qui ont vraiment besoin des loyers pour vivre au quotidien et qui ne vont donc pas épargner les revenus immobiliers ;
  • Aux biens immobiliers de jouissance comme la résidence principale ou secondaire ;
  • ou enfin, aux enfants qui ne sont pas capables de gérer le patrimoine transmis. En effet, pour faire une donation, il faut vouloir donner… mais il faut aussi être capable de recevoir (cf. « Succession : Quand faire une donation à ses enfants ? Quelles conditions pour ne pas le regretter ? »

A suivre.

ps : De toute manière, on attend l’après élections présidentielles pour avancer sur la question des donations.

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