Pourquoi payer un notaire lorsqu’il est possible de donner une somme d’argent directement et sans frais à ses enfants ? Vous vous en doutez peut-être, je ne vanterai pas les mérites du don manuel dans cet article. Il peut toutefois présenter des avantages, à condition d’intervenir dans le cadre d’une stratégie patrimoniale globale et encadrée.

Sa discrétion et son coût valent-ils les risques encourus par le donataire ? Devriez-vous renoncer aux dons manuels ?

Mieux vaut prévenir que guérir ! Le don manuel peut rapidement devenir un cadeau empoisonné. Faisons le point.

Quand parle-t-on de don manuel ?

Donner de la main à la main

Comme sa dénomination l’indique, le don manuel consiste en une donation de la main à la main. Le donateur se démunit immédiatement de son bien, sans formalité spécifique.

Par conséquent, le recours à un notaire n’est pas obligatoire, tel que cela serait le cas pour une donation classique. Il s’agit donc d’une solution a priori rapide et économique.

Rappelons que sa portée est cependant limitée. La mutation de certains biens est obligatoirement soumise à une publication auprès des services de la publicité foncière. Le don manuel peut ainsi porter uniquement sur :

  • une somme d’argent ;
  • un bien mobilier (une voiture, des bijoux, etc.).

Un immeuble ou un fonds de commerce devront faire l’objet d’un acte authentique.

Attention, malgré son accessibilité, une formalité fiscale demeure nécessaire : le don manuel doit être déclaré auprès de l’administration fiscale.

Dans les faits, cette déclaration n’est pas toujours réalisée. Cette omission, qu’elle soit volontaire ou non, est lourde de conséquences. Nous y reviendrons plus tard.

Précisons dès maintenant que le don manuel est considéré comme ayant lieu en avance de part successorale. Il est donc rapportable à la succession du donateur et soumis aux mêmes règles fiscales. Ainsi, des droits de mutation doivent être réglés en cas de dépassement des abattements légaux.

Don manuel et présent d’usage

Comment distinguer le don manuel du simple cadeau ? Bien entendu, il n’est pas nécessaire de déclarer aux impôts que vous avez reçu un chèque de 100 € pour Noël. 

À ce sujet, aucune limite n’est fixée par la loi. La valeur du présent d’usage doit uniquement être modique et proportionnelle au train de vie du donateur. Elle peut ainsi varier d’une famille à une autre.

Dans ce cas, aucune imposition n’est applicable. Cependant, prenez garde à ne pas offrir un cadeau trop onéreux. Un présent d’usage trop conséquent pourrait être requalifié de don manuel lors d’un contrôle de l’administration fiscale.

Pour aller plus loin, consultez notre article sur les présents d’usage.

Don manuel et donation déguisée

Don manuel et donation déguisée ne doivent pas être confondus. Si le don manuel constitue une réelle libéralité, la donation déguisée est faite sous la forme d’un acte en apparence à titre onéreux.

Il peut s’agir, par exemple :

  • de la vente d’un bien pour un prix modique ;
  • du non-paiement du prix de vente ;
  • d’un prêt consenti sans que le remboursement soit demandé.

Elle prend l’aspect d’un acte nécessitant une contrepartie financière, mais fait l’objet d’une intention libérale.

Le don manuel, quant à lui, constitue un dessaisissement à titre gratuit, même lorsqu’il ne fait l’objet d’aucune déclaration.

Le donataire est-il réellement avantagé ?

Vous vous doutez qu’une problématique émane de l’absence de déclaration auprès de l’administration fiscale, évoquée à plusieurs reprises. Cependant, savez-vous que l’usage du don manuel peut tout de même présenter des risques lorsqu’il est réalisé en bonne et due forme ?

Les dangers avérés du don manuel sur le plan civil

Revalorisation possible lors du décès du donateur

Le rapport civil des donations antérieures est une opération effectuée par le notaire lors de la déclaration civile de succession. La rapport civil des donation a pour objectif d’assurer le partage équitable de la succession entre les présomptifs héritiers en l’absence de disposition testamentaire.

Comme nous vous l’expliquions dans cet article « Donation d’argent, les risques civils du don manuel« , Le rapport civil d’une somme d’argent est égal à son montant. C’est le nominalisme monétaire. Donation simple, donation partage ou don manuel, le rapport civil d’un don de somme d’argent est effectué pour la valeur du don au jour de la donation. 

Néanmoins, si cette somme d’argent a servi à acquérir un bien, la rapport civil sera réalisé en fonction de la valeur de ce nouveau bien au jour de la succession. Mais attention, un formalisme bien particulier devra avoir été respecté pour remettre en cause le principe du nominalisme monnétaire.

Il est mit fin au nominalisme monétaire lors de l’utilisation de la somme d’argent pour acheter un bien. Mais attention, la question de l’utilisation du don de somme d’argent pour financer l’acquisition d’un bien doit suivre un formalisme très précis pour pouvoir mettre fin au nominalisme monétaire :

Ainsi, dans de nombreuses situations, le rapport civil d’un don manuel de somme d’argent est réalisé pour le montant de la donation, sans réévaluation au jour du décès, c’est l’application du nominalisme monétaire tant il pourrait être difficile de démontrer le remploi à défaut d’une clause de remploi précise dans l’acte d’acquisition.

Il ne faudrait néanmoins pas négliger le risque de contestation de la part des co-héritiers dans un environnement familial peu harmonieux.

Ainsi, contrairement à la donation-partage, la valeur du don n’est pas fixée au jour de la transmission. Cela pourrait défavoriser le donataire dans l’hypothèse d’une plus-value.

Cette situation peut mener à des inégalités.

Par exemple :

Vous transmettez 100 000 € à chacun de vos deux fils en réalisant des déclarations de dons manuels.

Le premier les investit dans l’achat d’une maison avec clause de remploi. Au jour du décès de son père, elle est évaluée à 150 000 €.

Le second les utilise pour des dépenses courantes.

Au jour du décès, l’un devra rapporter 150 000 € et l’autre 100 000 €. 

Ici, votre notaire aurait pu vous conseiller de réaliser une donation-partage de somme d’argent pour assurer l’égalité entre vos héritiers.

Rapport successoral

Dans la mesure où il n’est pas conclu par le biais d’un acte notarié, le don manuel ne peut pas être prévu comme intervenant hors part successorale. De ce fait, il est rapportable à la succession.

Rappel : le rapport successoral est le fait de reconstituer le patrimoine du défunt tel qu’il aurait été si aucune donation n’avait été consentie. De cette manière, les héritiers peuvent prétendre à une répartition égalitaire des biens.

Vous souhaitez en savoir plus ? Consultez notre article « Succession : Qu’est-ce que le rapport fiscal des donations ? Pourquoi ? ».

Le don manuel ne permet donc pas d’avantager sciemment un héritier par rapport à un autre. Les héritiers réservataires ayant droit à leur part de réserve, le montant du don sera imputé sur les droits du donataire dans la succession.

Mon conseil : si votre but est de favoriser l’un de vos enfants par rapport aux autres, optez pour une donation hors part successorale. Le montant de la libéralité est alors appliqué à la quotité disponible. La part de réserve de l’héritier gratifié n’est impactée que si ladite quotité disponible est épuisée. Une telle opération nécessite, cette fois-ci, un acte notarié. 

La difficulté augmente lorsque le montant du don manuel excède la part à laquelle l’héritier peut prétendre. Dans l’hypothèse où ses co-héritiers sont lésés, il peut être tenu de les dédommager.

Cette charge se cumule ainsi :

  • aux frais d’actes notariés ;
  • au paiement des droits de mutation à titre gratuit.

Le financement de ces sommes peut être ardu. Afin d’éviter une telle situation, l’anticipation est la clé.

En effectuant un bilan de votre situation patrimoniale avant de passer à l’acte, vous vous assurez :

  • d’une répartition équitable de vos biens ;
  • que vos héritiers aient la capacité financière d’assumer votre succession.

Absence des avantages de l’acte notarié

Pour donner, deux solutions s’offrent à vous :

  • le don manuel ;
  • la donation par acte notarié.

La seconde est préférable dans la majorité des cas. Pourquoi ?

Un acte reçu par-devant notaire offre une réelle sécurité juridique : les clauses sont adaptées à vos besoins spécifiques.

Ainsi, un don manuel est dépourvu de dispositions telles que :

  • l’interdiction d’aliéner ;
  • le droit de retour ;
  • l’exclusion de la communauté.

Ce dernier point me permet d’aborder la question de la preuve. Comment certifier l’existence du don manuel lors de l’ouverture d’une succession ? Comment prouver, à l’occasion d’un divorce, que les bijoux donnés manuellement par la mère de l’épouse lui sont propres ?

Imaginez ne pas être en mesure de prouver l’origine d’un bien à l’occasion de votre divorce. Dans ce cas, la présomption de communauté s’applique. En devenant commun, sa propriété est divisée par moitié : votre ex-époux en est également propriétaire.

Si le don a été déclaré, il est plus simple d’en démontrer l’origine. Dans le cas contraire, les conséquences juridiques et familiales peuvent être difficiles à supporter.

Le notaire donne notamment date certaine à l’acte. Il en conserve également une copie pendant 75 ans. De cette manière, aucune place n’est laissée au doute.

Des risques accrus en cas d’absence de déclaration auprès de l’administration fiscale

Que se passe-t-il lorsque le don manuel n’est pas déclaré ?

Sur le moment : rien. C’est lors de la révélation du don que la situation se corse. Une révélation qui pourrait intervenir qu’au décès du donateur.

Désormais, vous savez que ce type de transmission consume les abattements fiscaux relatifs aux transmissions à titre gratuit. Puisque le don n’a pas été déclaré, l’abattement n’a pas été entamé. Or, il le sera à l’occasion du décès du donateur (moment de la révélation du don).

Conséquence : c’est cet événement qui devient le point de départ pour l’application de l’abattement. Le don manuel, potentiellement réalisé il y a de nombreuses années, est additionné à la valeur des biens reçus dans la succession. Il est possible :

  • que l’abattement soit entièrement consommé ;
  • que des droits de succession soient dus.

En ne déclarant pas le don manuel, vous perdez le bénéfice :

  • Du renouvellement de l’abattement : il s’opère tous les 15 ans. Une donation de 100 000 € à votre enfant le 15 janvier 2010 consomme l’intégralité d’abattement. Ce dernier sera à nouveau complet le 15 janvier 2025.
  • De l’abattement spécial de 31 865 €. Ce dernier concerne les dons de sommes d’argent réalisés au profit des descendants par un donateur âgé de moins de 80 ans.

Le donataire s’expose également à des risques vis-à-vis de ses co-héritiers. Si le don a été dissimulé et qu’il est révélé à l’occasion de l’ouverture de la succession, ils peuvent invoquer le recel successoral.

Le bénéficiaire du don risque de perdre sa part sur les biens objet du recel.

Enfin, lorsque l’administration fiscale découvre l’existence d’un don de moins de 15 ans, elle demandera au donataire le paiement :

  • des éventuels droits de succession non encore acquittés ;
  • des intérêts de retard de 0,40 % par mois ;
  • des pénalités pouvant atteindre 80 %.

Néanmoins, il n’est pas impossible d’envisager l’hypothèse courant d’un don manuel qui ne serait pas révélé, ni au moment de la donation, ni au décès du donateur. Qui se souviendra dans 30 ans d’un virement de 40 000€ réalisé par les parents au bénéfice des enfants ? L’administration fiscale sera bien incapable d’en démontrer l’origine et les enfants eux-même l’auront totalement oublié.

Comme nous vous l’expliquions dans cet article « Succession : Quel risque fiscal si on oublie de déclarer un don manuel ?« , en réalité, les risques d’oublier de déclarer le don manuel pourrait être très faible, sauf dans une famille à l’ambiance houleuse dans laquelle, un frère ou une soeur chercherait à mal et à pénaliser la famille.

Comment déclarer un don manuel ?

Malgré tout, le don manuel peut être fait pour vous si :

  • vous souhaitez avantager vos enfants égalitairement ;
  • vous déclarez le don dès sa réalisation.

En pratique, vous disposez d’un délai d’un mois pour porter l’opération à la connaissance du service de l’enregistrement du service du donataire. Ce dernier peut le faire :

  • en ligne ;
  • en déposant un imprimé papier.

Pour ce faire, vous trouverez les formulaires adéquats en ligne.

Et si vous hésitez encore, prenez rendez-vous avec votre notaire pour en savoir plus sur le coût d’une donation.