Un nouvel article publié par notre lecteur Henri F. autour de la théorie de l’effondrement et surtout des solutions pour y faire face.

Finance résiliente et transitionnelle

Bonjour à tout.te.s, et merci pour vos commentaires nourris à mon précédent billet (Comment réorganiser son patrimoine face à l’effondrement financier à venir ? Du 7 janvier 2019).
Les discussions ont porté un peu sur l’aspect financier et la résilience de l’habitat, et surtout sur le degré de pertinence de la perspective de l’effondrement, le survivalisme guerrier et les capacités d’adaptation et d’innovation des humains. Je vous en remercie tou.te.s.
Mon besoin étant toujours d’approfondir l’aspect financier, du fait que j’ai adopté l’hypothèse de l’effondrement, ma demande est que vous m’aidiez à explorer cet aspect financier, même si vous ne croyez pas en cette hypothèse (et que vous n’en adopteriez donc pas les conclusions financières). Je ne cherche à convaincre personne, juste à faire un « remue-méninge » !
Et à vrai dire, pour un CGP, il me semble que la question est intéressante : que proposer à un client qui voudrait se prémunir de l’effondrement et favoriser la transition tout en s’assurant des revenus complémentaires ?
Je vais donc reproposer un éclairage du sujet, repréciser les deux objectifs financiers et proposer des orientations et modalités financières concrètes, sur lesquelles j’attends vos amendements !
 

Catastrophe ou Métamorphose ?

Comme je l’ai dit, j’ai la conviction (ainsi qu’un certain nombre de gens, y compris parmi les lecteurs de ce blog) que le monde se meurt : dérèglement climatique, raréfaction des ressources naturelles, destruction des écosystèmes et rythme effarant d’extinction des espèces vivantes. D’ici 2050, 50 % des espèces vivantes pourraient avoir disparues !
D’après un grand nombre de spécialistes, le climat de notre planète serait complexe et sensible : une faible augmentation de la température mondiale moyenne suffirait à provoquer d’importants changements et de nombreux effets secondaires dangereux (sécheresses, canicules, cyclones, incendies géants, famines, épidémies, morbidité, dégradation des sols, montée du niveau des mers, tempêtes, exils et migrations, émeutes, conflits armés, pollutions, accidents nucléaires, etc.).

 
Chaque augmentation risque d’être pire que la précédente, à cause des phénomènes d’emballement et des seuils de rupture qui font que le réchauffement ne serait pas un phénomène linéaire, mais une courbe qui peut basculer dans l’exponentiel. Vers 2040, il est presque certain que la plupart des habitant-es de la Terre auront perdu leur habitat naturel. Y compris nous, les européens, qui seront peut-être obligés de migrer vers la Suède, la Norvège ou la Sibérie …
C’est ma conviction, mais elle n’est pas partagée par tou.te.s, et je peux le comprendre. Cette vision, qu’on peut aisément qualifier de catastrophiste, pessimiste et défaitiste, n’est pas porteuse d’avenir si on l’adopte brute, sous le coup de l’émotion, et ne peut qu’attiser les peurs, les dépressions et les démarches de renfermement sur soi (survivalisme) pour se protéger.
Si on refuse cette vision (ou qu’on la déconsidère), parce qu’on est persuadé que le pire n’est pas certains et que c’est une erreur d’appréciation, on continue alors le business as usual, par exemple le financement des énergies carbonées et extractivistes, ce qui risque d’amplifier le phénomène, et de maintenir les énormes inégalités du système néolibéral productiviste et consumériste mondial.
Si on accepte cette vision, mais qu’on pense qu’on peut encore arrêter le dérèglement, on tente alors d’améliorer les choses du mieux possible, par exemple en effectuant des financements durables et/ou climatiques, ou en finançant des innovations apparemment positives. Mais ceci à l’inconvénient d’éviter de prendre des mesures globales efficaces et donc drastiques.

 
Or, je considère que l’humanité n’est pas face à une grosse perturbation, type guerre mondiale, invasion hostile ou changement de paradigme sociétal (tel que les bascules sociétés tribales vers grandes civilisations agraires, puis vers royautés, puis vers républiques, etc.). Nous sommes au contraire faces à une destruction globale très rapide de notre lieu de vie, sans avoir véritablement d’autre endroit où aller, car tous les peuples sont concernés, sur terre comme en mer. Ce n’est pas un problème entre nous, c’est un problème contre nous tous.
En ce sens, les seuls précédents que je vois sont les extinctions massives des espèces vivantes provoquées par des changements climatiques (déluges et inondations, ou désertifications et océans appauvris et acides) ou biologiques (libération de méthane bactérien), se déroulant sur de longues périodes et donc prévisibles – par différence avec les extinctions soudaines provoquées par des événements ponctuels imprévisibles (météorites, volcans et tsunamis, explosion de rayonnement solaire, invasion hostile, etc.).
Mais à ces époques, l’humanité n’existait pas, ou aurait été au stade cueillette-pêche-chasse, sans technologies extractivistes, chimiques et électriques, ni fragiles réseaux de distributions (transports, eau, pétrole, gaz, information), ni infrastructure complexes et vulnérables (centres urbains, hôpitaux, usines, ports, centrales nucléaires, arsenaux nucléaires, chimiques et bactériologiques, etc.). L’humanité dans son ensemble pourrait donc avoir la triste opportunité de subir pour la première fois une extinction et un effondrement civilisationnel global et massif. C’est sans doute pour cela qu’il est difficile de l’envisager et de s’y préparer.
Certes, les extinctions et effondrement font partie de l’histoire de la Terre, et les catastrophes et guerres font partie de l’histoire de l’humanité. Et de plus, l’humain a démontré une forte capacité d’adaptation. Mais chaque catastrophe est une tragédie, chaque tragédie fait souffrir, c’est éprouvant à vivre et, quand on ne meurt pas, ça laisse de longues séquelles invalidantes physiquement et psychiquement.
Donc, personnellement, je souhaiterais bien éviter cela pour moi, mes proches, mes enfants, mes petits-enfants, et tous les êtres humains, ainsi que tous les autres peuples sensibles (animaux et végétaux). Je souhaite également éviter cette tragédie par respect pour tous les efforts continuels accomplis par nos prédécesseurs – hommes et femmes – pour faire progresser les choses et améliorer nos conditions de vies.
Le but est d’éviter de souffrir, sans chercher à se recroqueviller dans un bunker. Il importe donc de se métamorphoser. C’est-à-dire de remettre en cause ses croyances, ses attitudes, ses envies, ses espoirs et développer de nouvelles visions et de nouveaux comportements, tous ensemble, de façon massive. Comme c’est difficile à faire, on traîne, mais l’urgence va certainement nous mobiliser plus tôt que prévu .. (cf »Théorie de l’effondrement : « Le système actuel de représentation démocratique opère un rétrécissement de la pensée » – Entretien avec Corinne Morel Darleux« )
 
Mon autre conviction est qu’on ne peut être efficacement résilient sur le long terme que si on agit de façon solidaire et coopérative. Et donc la démarche transitionnelle doit aussi être solidaire et participative. En effet, l’entraide est aussi un très efficace mécanisme de survie et d’adaptation.

En d’autres termes, la démarche que je vous propose est peut-être assimilable à celle du « pari de Pascal » : on n’a aucune certitude si ça va s’effondrer ou pas, mais si on croit – vu les indicateurs alarmants – que ça peut s’effondrer, alors on se prépare pour être résilient (résister à l’effondrement) ainsi que pour être transitionnel (faciliter le passage d’un état à un autre). Cette option a l’avantage – même s’il n’y a pas d’effondrement – d’être très positive, car la double démarche résiliente et transitionnelle favorise le bien-être pour tou.te.s, y compris en conditions hostiles. Et il n’est pas trop tard pour bien faire …
 
 

Objectifs financiers

Donc, dans la mesure où nous sommes encore en mesure de prévoir les choses, et de nous adapter, je vous propose de continuer à réfléchir à ce qui pourrait être réorganisé dans le domaine financier et patrimonial pour atteindre le double objectif suivant :

1 – être résilient, afin de pouvoir disposer de revenus le plus longtemps possible à travers les probables crises, crash, pénuries et troubles à venir ;

2 – être transitionnel, afin de concourir à la limitation de la perturbation environnementale et à la préparation des nouvelles conditions d’existence (plus frugales et solidaires).

Vous noterez que, contrairement à ma première proposition, il ne s’agit pas seulement de résilience, mais il s’agit aussi, voire surtout, de ce qui peut favoriser la transition, par réorientation du fléchage des investissements (et de l’épargne) vers moins de productivisme et de consumérisme orienté profit. Protéger ses liquidités et capitaux ne suffit pas, il importe aussi de contribuer au maximum à la transition écologique, économique et sociale.
Comme le disait Guillaume, dans son billet du 25 août 2017 : « Préparer votre patrimoine à la révolution « écologique » et « développement durable » qui s’impose » : 

« Il est fondamental d’investir, non pas pour s’enrichir et valoriser toujours plus votre patrimoine, mais pour maintenir votre cadre de vie de demain ou après demain ! »

 
 

Modalités pratiques (à affiner)

Les orientations financières et patrimoniales que j’entrevois, et que j’ai amendées en fonction de vos remarques, sont donc dans cet esprit :
 

Essentiellement investir (par différence avec épargner) dans :

1- L’IMMOBILIER TRANSITIONNEL

  • plutôt l’immobilier de rapport résidentiel (respectueux des normes énergétiques garantes d’un confort optimal et d’une consommation énergétique limitée)
  • plutôt en acquisition de maison écolo finie, qu’en construction neuve (pour éviter les 2 ans de délai au moins)
  • essentiellement, en plus de la résidence principale, sous la forme de location meublée (LMNP/LMP et bail mobilité), afin que ce soit une activité économique active, adaptée aux mutations sociétales à venir (précarités, mobilités, colocation, transgénérationnel, migrations, etc.)
  • peut-être du PINEL en rénovation ?
  • plutôt en province, voire en zone rurale (pour pouvoir avoir accès à l’eau et à une surface cultivable) – donc pas en centre ville (à cause de la fragilité des réseaux de distribution, des conditions climatiques et de la pollution de l’air)
  • plutôt dans des habitats groupés qu’isolés (pour pouvoir faire jouer la solidarité)
  • éventuellement, et en direct, dans des SCPI de rendement (diversifiées, spécialisées hors bureaux ou investissant à l’étranger)

 

2- LES ENTREPRISES TRANSITIONNELLES

  • aucune entreprise extractiviste ou ne cherchant pas sérieusement à décarboner son activité
  • les énergies renouvelables et le stockage de l’électricité
  • l’efficacité énergétique (tertiaire et industrielle)
  • l’agriculture durable (donc plutôt végétale), dans une exploitation en bio (ou reconversion)
  • les forêts durables (pour la qualité des sols, de l’eau et de l’air) et l’agroforesterie
  • la dépollution et le recyclage
  • la mobilité électrique n’est pas envisagée car, pour l’instant, les batteries aux terres rares font partie du monde extractiviste

 
Ces investissements seraient faits :

  • en visant 2 à 3 points de rendement (net de frais) au dessus de l’inflation (c’est-à-dire pas de perte, mais pas de gains à deux chiffres basés sur la spéculation et l’évasion fiscale)
  • en évitant la bourse (y compris les produits structurés et les produits indiciels) et les positions spéculatives
  • peut-être en investissant dans des foncières cotées ?
  • peut-être en conservant (de préférence en titres vifs, voire au nominatif) des valeurs cotées dans la construction, le BTP et les transports, et quelques autres valeurs bien ciblées au regard de la transition ?
  • peut-être en investissant dans des PME de micro-promotion résidentielle (ou marchand de bien) ne faisant pas appel au crédit ?
  • en évitant aussi les marchés de taux (afin de ne pas devoir rembourser même si la banque ou l’état fait faillite)
  • en évitant le crédit bancaire et l’endettement (donc renoncer à l’effet de levier du crédit)
  • en ne cherchant pas la plus-value à terme (actions, titres participatifs) mais en cherchant le revenu régulier (obligations, minibons, rentes, royalties)
  • plutôt en dette privée (crowdlending)
  • plutôt en direct, en évitant les produits internes aux banques ou aux assureurs
  • peut-être conserver en assurance-vie des fonds euros immobiliers ?
  • dans le cadre de clubs d’investisseurs (type Cigales ou club deals), des GFA/GFF, ou d’associations d’épargnants (afin de ne pas rester seul, ni être en dépendance des analystes financiers, des gestionnaires d’actifs ou des places de marchés)
  • peut-être dans un cadre juridique collectif au sein d’une famille ou de proches en confiance (type société civile patrimoniale, à prédominance immobilière) ?
  • en liens avec des blogs comme celui-ci ! (toujours pour favoriser l’intelligence collective)
  • en maintenant une forte diversification (thématique, géographique, forme d’investissement, duration des obligations privées, etc.), voire hétérogénéité, voire multidevises ?
  • en privilégiant les investissements solidaires et coopératifs (notamment dans l’économie sociale et solidaire)

 

En complément :

  • disposer, chez soi (et/ou dans une institution financière faiblement systémique type La Nef), de liquidités en espèces, en pièces d’or et d’argent, voire en monnaie locale (si elle ne fond pas trop vite), afin de pouvoir financer sa subsistance si les comptes bancaires et assurances devenaient à accès restreint ou étaient bloqués
  • accepter de perdre de l’argent en opérant cette transformation (mieux vaut, à mon avis, perdre un peu en prévention que perdre quasi tout en situation)
  • concernant les investissements locatifs au plus fort de la crise, si les locataires deviennent insolvables, au moins des humains seront logés (par différence avec un « emprunt Russe » qui s’évanouit en pure perte) ; et donc, sans doute, prévoir ces investissements locatifs plus ou moins proches de chez soi pour pouvoir aller percevoir les loyers en trocs ?
  • veiller quand-même à l’optimisation juridique (partage familial, transmission) et fiscale
  • investir dans la résilience de nos habitats (isolation thermique, auto-production d’énergie, sécurisation de la ressource en eau potable et en bois de chauffage, sécurisation alimentaire, solidarité locale) et peut-être aussi sa sécurité physique collective (car les pillards ont existé de tous temps)
  • investir à plusieurs dans la résilience locale : https://sosmaires.org/
  • compléter sa compréhension :
    http://www.collapsologie.fr/
    http://adrastia.org/
    https://www.institutmomentum.org/
  • développer ses compétences en intelligence émotionnelle et relationnelle (expression des émotions, écoute empathique, résolution de conflits sans perdants, etc.), afin d’éviter la violence en cas de difficultés sociales
  • dans tous les cas, rester les pieds sur terre, la tête froide et le cœur ouvert …

 
Bien à vous tou.te.s
Henri F