À la suite de nos derniers articles consacrés à la mésentente entre parents et enfants (Fâché avec un enfant : Comment organiser votre succession ? — Succession : Comment mieux protéger le conjoint face à un enfant fâché et/ou indélicat.), nous poursuivons notre étude approfondie de la question aujourd’hui avec la problématique du choix du régime matrimonial en présence d’enfants non commun dans une famille recomposée.

Comment choisir le bon régime matrimonial pour protéger et avantager votre nouveau conjoint ? Quelles sont les particularités à prendre en compte en présence d’un enfant issu d’une précédente union ?

Comparons les avantages et les inconvénients des régimes communautaires et séparatistes dans ce cas particulier.

Un régime de communauté : bonne ou mauvaise idée ?

Lorsque l’on cherche à protéger son époux pour le moment où nous ne serons plus là, la question du régime matrimonial se pose nécessairement. Et c’est souvent l’adoption d’un régime de communauté qui est préconisée. Mais est-ce toujours une bonne idée ?

La communauté universelle

Qu’est-ce que le régime de la communauté universelle ?

Il est régi par l’article 1526 du Code civil.

Avec ce régime matrimonial, tous les biens des époux sont mis en commun.

Cela inclut tout ce qui est :

  • acquis ou créé (un fonds de commerce par exemple) par chacun des époux avant le mariage ;
  • acquis ou créé pendant le mariage par les époux ou l’un d’entre eux ;
  • reçu par donation ou succession avant et pendant le mariage (sauf si le donateur précise expressément qu’il ne souhaite pas que les biens entrent dans la communauté).
  • les dettes acquises avant et pendant le mariage.

Bref, tout est commun sauf ce qui est propre par nature, comme les vêtements ou les bijoux.

Peut-on adopter le régime de la communauté universelle en présence d’enfants non communs ?

À ce sujet, l’article 1397 du Code civil précise que : 

« Les époux peuvent convenir, dans l’intérêt de la famille, de modifier leur régime matrimonial, ou même d’en changer entièrement, par un acte notarié. À peine de nullité, l’acte notarié contient la liquidation du régime matrimonial modifié si elle est nécessaire.

Les personnes qui avaient été parties dans le contrat modifié et les enfants majeurs de chaque époux sont informés personnellement de la modification envisagée. Chacun d’eux peut s’opposer à la modification dans le délai de trois mois

[…]

En cas d’opposition, l’acte notarié est soumis à l’homologation du tribunal du domicile des époux. La demande et la décision d’homologation sont publiées dans les conditions et sous les sanctions prévues au code de procédure civile. 

[…]

Ainsi, si vous êtes fâché avec votre enfant majeur né d’une première union, sachez que celui-ci sera averti de votre changement de régime et aura la faculté de s’y opposer dans le délai de 3 mois.

En fonction des désaccords que vous avez avec votre enfant, le risque d’annulation de votre contrat de mariage peut être grand.

Peut-on prévoir une clause d’attribution intégrale au dernier vivant ?

Cette clause insérée dans votre contrat de mariage a pour effet de transmettre directement l’intégralité de votre patrimoine commun à l’époux survivant. Dans le cadre d’une communauté universelle, il s’agit ainsi de la totalité de vos biens.

Dans ce cas, la succession n’est même pas ouverte au premier décès. Votre conjoint se retrouve automatiquement plein propriétaire de l’ensemble de la communauté.

En présence d’enfants communs au couple (et dans certains cas seulement), cette clause peut être intéressante. La transmission des biens est seulement différée et les héritiers légaux reçoivent leur part d’héritage au décès du second époux (avec toutefois un inconvénient fiscal majeur). 

Cependant, en présence d’enfants issus d’une précédente union, la loi prévoit la possibilité d’une action en retranchement (article 1527 alinéa 2 du Code civil).

En effet, cette clause d’attribution intégrale a pour effet de déshériter purement et simplement votre enfant non commun qui ne sera pas héritier de votre conjoint.

Qu’est-ce que l’action en retranchement ?

C’est une action exercée en justice au décès et ouverte aux enfants qui ne sont pas issus de l’union du défunt et de son conjoint survivant.

Cette action vise à ramener l’enrichissement du conjoint survivant à la plus large quotité disponible permise entre époux (un quart en toute propriété et trois quarts en usufruit des biens composant la succession de l’époux décédé).

En pratique, cela aboutira au même résultat que l’adoption d’une communauté assortie d’une donation au dernier vivant.

Précisons toutefois que cette action en retranchement est une faculté offerte aux enfants non communs. Ils peuvent renoncer à l’exercer (ce qui me semble malgré tout peu probable en cas de liens distendus avec vos enfants).

Le délai de prescription de cette action est de « cinq ans à compter de l’ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l’atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès » (article 921 du Code civil).

L’adoption de la communauté universelle, qui plus est assortie d’une clause d’attribution intégrale, est donc une stratégie fortement fragilisée par les garde-fous légaux prévus pour éviter l’atteinte à la réserve héréditaire.

Le régime de la communauté légale (réduite aux acquêts)

En l’absence de contrat de mariage, vous êtes soumis au régime de la communauté réduite aux acquêts. Comme son nom l’indique, cette communauté de biens entre époux ne comprend que les biens acquis pendant le mariage.

Ainsi, votre patrimoine est composé de : 

  • biens propres (qui restent personnels et n’appartiennent qu’à vous) = ceux que vous possédiez avant le mariage ou que vous recevez par donation ou legs pendant le mariage ;
  • biens communs (qui vous appartiennent à concurrence de moitié chacun) = tous ceux acquis à titre onéreux pendant le mariage.

Au moment de la succession du premier défunt, tous les biens communs sont partagés à concurrence de moitié/moitié.

L’avantage de ce régime légal est qu’il n’est pas possible pour vos enfants non communs de s’y opposer.

L’inconvénient est que la communauté est réduite par rapport à la communauté universelle.

Les limites des régimes communautaires

En fonction de la profession que vous exercez, le choix de votre régime matrimonial n’est pas anodin.

Si vous êtes chef d’entreprise, commerçant ou professionnel indépendant, le choix peut avoir des répercussions importantes sur votre activité.

En effet, les règles applicables à votre régime matrimonial encadrent les rapports financiers et patrimoniaux entre époux, et les rapports à l’égard des tiers (notamment les créanciers de votre entreprise ou même vos associés). 

C’est la raison pour laquelle vous devez être particulièrement vigilant sur ce point et privilégier le cas échéant la protection de votre entreprise.

Un régime matrimonial inadapté peut mettre en péril votre patrimoine personnel, y compris les biens de votre conjoint, mais aussi votre activité.

Par exemple, dans le cadre du régime légal, l’entrepreneur individuel doit notamment obtenir l’accord de son conjoint pour réaliser certains actes, comme la cession de son fonds de commerce. 

En société, l’article 1832-2 alinéa 3 prévoit notamment que : « La qualité d’associé est également reconnue, pour la moitié des parts souscrites ou acquises, au conjoint qui a notifié à la société son intention d’être personnellement associé. »

La gestion de la vie de l’entreprise n’est donc pas forcément adaptée avec un régime communautaire.

Pour aller plus loin sur cette question du régime matrimonial de l’entrepreneur : Comment protéger son entreprise en cas de divorce ?

Un régime de séparation pourra donc devoir être privilégié en fonction de votre situation professionnelle.

Un régime séparatiste : avantages et inconvénients

1/ La séparation de biens pure et simple

Lorsque l’on évoque le régime de la séparation de biens, c’est celui-ci qui est le plus fréquent. Pourtant, ce n’est pas forcément le plus adapté pour protéger votre conjoint. Voyons pourquoi.

Chacun des époux reste le seul propriétaire (et responsable) des biens acquis avant et pendant le mariage, à titre onéreux ou à titre gratuit.

En somme, sur le plan patrimonial, c’est comme s’il n’était pas marié ! Il n’y a pas de patrimoine commun.

Ce régime est encadré par les articles 1536 et suivants du Code civil

L’article 1536 précise ainsi que :

« Lorsque les époux ont stipulé dans leur contrat de mariage qu’ils seraient séparés de biens, chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels.

Chacun d’eux reste seul tenu des dettes nées en sa personne avant ou pendant le mariage, hors le cas de l’article 220. »

Deux conséquences pratiques principales :

  • Chaque époux gère ses biens personnels et professionnels comme il l’entend, sans que l’autre conjoint ait son mot à dire. 
  • À la dissolution du régime (divorce ou décès), il n’y a aucun partage des biens (à l’exception des biens acquis en indivision et des sommes déposées sur un compte commun).

Bien entendu, ce régime ne vous empêche pas d’acheter des biens ensemble, comme votre résidence principale par exemple. 

Ce sont alors des biens indivis.

Attention alors, pour prévenir les litiges (notamment avec l’enfant non commun), il faut que l’acte d’acquisition indique clairement la contribution de chacun : le montant de l’apport et la quote-part dans le remboursement du crédit immobilier.

Vous l’aurez compris, ce régime ne permet pas forcément d’avantager et de protéger votre époux face à un enfant indélicat (sauf si la majorité de vos richesses et de votre patrimoine appartiennent à votre conjoint, ce qui n’est pas forcément l’idéal en revanche pour vous protéger vous en cas de prédécès de votre conjoint !)

En pratique, comment protéger et avantager votre conjoint, même sous un régime de séparation, sans vous mettre en danger ?

2/ La séparation de biens avec société d’acquêts

Tout en maintenant le régime séparatiste comme régime de base, vous pouvez y adjoindre une société d’acquêts, c’est-à-dire une masse commune composée d’un ou plusieurs biens déterminés ou une catégorie de biens.

C’est un régime matrimonial « à la carte ». Vous décidez du sort de chaque bien : commun ou propre.

Cela peut être particulièrement utile pour cloisonner vos patrimoines professionnels et personnels : 

  • appliquer le régime de la séparation de biens pour votre fonds de commerce ou vos parts de SARL ;
  • et choisir les règles du régime plus protecteur de la communauté pour vos biens personnels.

Le régime de la séparation de biens avec société d’acquêts présente deux avantages principaux : 

1/ Vous assouplissez le régime de la séparation de biens et faites profiter votre époux d’une partie de votre enrichissement : lors de la dissolution du régime, les biens composant la société d’acquêts sont partagés à concurrence de la moitié chacun.

2/ Vous pouvez régir les biens inscrits dans la société d’acquêts par les mêmes clauses que celles présentes dans un régime de communauté. 

Dans le but d’améliorer le sort de votre conjoint après votre décès, il est donc possible de prévoir : 

  • une clause de partage inégal (prévoir par exemple que le conjoint survivant recueille ¾ de la société d’acquêts) ;
  • une clause d’attribution intégrale au dernier vivant de ces biens communs (le survivant recueille ainsi l’intégralité des biens mis en commun) ; 
  • une clause de preciput.

Attention bien entendu à l’action en retranchement, qui sera toutefois inapplicable pour votre enfant non commun si votre patrimoine personnel permet de satisfaire aux règles de la réserve héréditaire.

En revanche, si vous exercez une activité indépendante, il est important d’attirer votre attention sur le point suivant.

À l’image des régimes communautaires, les biens logés dans la société d’acquêts peuvent être exposés en cas de poursuite par des créanciers professionnels.

Il conviendra donc de prévoir le cas échéant des mesures de protection adaptées du patrimoine vis-à-vis de ces créanciers (déclaration d’insaisissabilité, choix de la structure juridique, etc.).

3/ La participation aux acquêts

Le régime de la participation aux acquêts (articles 1569 et s. du Code civil) permet de bénéficier : 

  • du statut de la séparation de biens pendant le mariage, 
  • et des avantages de la communauté pour faire profiter son conjoint de ses enrichissements à la dissolution.

Ainsi, pendant la durée du mariage, tout se passe comme si vous étiez mariés sous le régime de la séparation de biens. 

C’est à la dissolution du régime (divorce ou décès) que la participation aux acquêts se distingue de la séparation.

Une créance de participation est calculée pour rétablir l’équilibre entre les patrimoines respectifs des époux, et que chacun puisse bénéficier de l’enrichissement de l’autre comme s’ils avaient été mariés sous le régime de la communauté.

Prenons un exemple simple et chiffré pour schématiser ce calcul.

Sur un patrimoine total commun, acquis pendant le mariage de 800 000 € : 

  • En communauté, chaque époux a droit à une part de 400 000 €.
  • En séparation chacun repart avec ses biens, quelle que soit la répartition.

Si au décès, l’époux A possède 700 000 € et l’époux B 100 000 €, ce dernier ne bénéficie pas de l’enrichissement de son conjoint (alors qu’il y a peut-être participé indirectement…)

  • Avec la participation aux acquêts, l’époux A (qui possède 700 000 €) devra une créance de participation à son conjoint d’un montant de 300 000 €, de sorte qu’en valeur chaque époux recevra 400 000 €.

La grande différence avec la communauté réside cependant dans le fait qu’il s’agit d’une créance, et non de droit de propriété sur les biens du défunt.

L’époux B peut alors n’avoir aucun droit de propriété sur un bien immobilier acquis par son conjoint pour servir de résidence secondaire, mais seulement une créance contre la succession. (Privilégiez donc la séparation de biens avec société d’acquêts si vous souhaitez conférer à votre conjoint un droit de propriété plutôt qu’une créance).

Cependant, l’adoption de ce régime peut permettre de poursuivre le double objectif de : 

  • protéger efficacement son patrimoine des créanciers ;
  • avantager son conjoint par rapport au régime de la séparation de biens pure et simple.

Dernier rappel absolument essentiel : 

Quel que soit le régime matrimonial choisi, vous DEVEZ bien entendu consentir une donation entre époux pour permettre à votre conjoint de bénéficier de la part disponible la plus importante !

Et pour aller plus loin sur la question de savoir comment organiser sa succession lorsque l’on est fâché avec un enfant, nous aborderons prochainement la question incontournable de l’assurance-vie.

À suivre…

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