On a parfois l’impression d’un pays au bord du burn out, d’une société qui n’arrive plus à se relever après les multiples attaques neo-libérale : Cette volonté d’imposer le tout marché est tout simplement en train de remettre en cause le fondement et l’équilibre de la société ; Les citoyens s’en rendent compte et commencent à se défendre.
Le libéralisme, c’est tout simplement croire dans la puissance du tout marché et donc la volonté réduire le protectionnisme qui empêche le marché auto-régulateur d’affirmer sa tout puissance. Ce protectionnisme combattu par l’idéologie libérale peut prendre plusieurs formes. Il peut être social comme les dispositifs d’assurance chômage ou encore de retraite, il peut être environnemental. Une politique libérale à vocation à réduire ces formes de protectionnisme pour faire confiance à l’auto-régulation du marché.
Face à ces attaques, face à cette tentative qui vise à réduire le citoyen à son seul statut d’homo oeconomicus, la société se rebelle, se défend. Ce sont les gilets jaunes, les grèves à répétition dans tous les secteurs de la sociétés, les votes extrêmes, …
Les citoyens qui ressentent bien que les fondements de la société sont remis en question mettent en œuvre, ce que Karl Polanyi appelle un double mouvement dans son livre « La grande transformation » (Livre écrit en 1944, sa lecture est ardue, mais je ne peux que vous encourager à le lire tant le propos explique ce que nous vivons en 2019).
Pour ceux qui n’auraient pas le courage, vous pouvez déjà lire cet article « Karl Polanyi : prophète de la fin de l’économie libérale » qui commence par ces mots :

« L’intérêt pour le travail de Karl Polanyi s’est renforcé avec l’avènement de la globalisation néo-libérale, et il peut encore s’accentuer étant donné la catastrophe engendrée par celle-ci. En 1944, l’ouvrage « La Grande Transformation » expliquait les difficultés rencontrées par le capitalisme entre les deux guerres. Elles résultaient en particulier de la tendance à instaurer un marché auto-régulateur depuis le 19ème siècle. La société a réagi à cette tendance pour s’y opposer … »

« L’idée de Polanyi selon laquelle l’économie est « encastrée » dans les institutions sociales est devenue, au cours des dernières décennies, une pierre angulaire de la sociologie économique (Beckert 2009). Selon lui, le projet utopique visant à « désencastrer » l’économie de marché (NDLR =projet néolibérale du marché autorégulateur) de la société mène à un « double mouvement », divers groupes et classes agissant en réaction pour protéger les intérêts de la société contre le marché »

 
La lecture de cet autre article : Karl Polanyi ou l’économie encastrée dans le social, doit également vous éclairer sur l’importance des réflexions. Voici sa conclusion éclairante :

« Désacraliser, à la manière de Polanyi, la vision économiciste du monde ne doit toutefois pas nous conduire à jeter le bébé avec l’eau du bain, c’est-à-dire n’accorder aucun crédit à cette vision. Ce que rejette en fait Polanyi, c’est l’idée d’une complète adaptation de l’homme aux structures de ce marché idéalisé.

Dans son esprit, ce n’est pas la logique de l’échange marchand qui détermine les sociétés de marchés, mais la dynamique entre le mécanisme du marché et les contre-mouvements sociaux. Pour lui, les sociétés de marchés sont non seulement formées par la logique des échanges marchands au sein desquels les jeux des intérêts pécuniaires sont exprimés par les seules personnes auxquelles ils se rapportent, mais également par les contre-mouvements sociaux qui intègrent les intérêts d’un cercle plus large (voisins, membres d’une profession, consommateurs, etc.). A travers eux, les êtres humains agissent en tant que personnes libres et responsables, partageant une certaine représentation du monde, et ils se joignent ensemble pour défendre les intérêts de la société dans son ensemble.

Ces contre-mouvements sociaux s’avèrent être d’une absolue nécessité au sein de nos sociétés de marchés, irrésistiblement composées de communautés de personnes libres. Ils contrarient les intérêts de ceux qui souhaitent la pleine soumission des rapports unissant les hommes entre eux et à la nature au seul lien marchand fondé sur un principe unique, l’intérêt économique personnel. Ils permettent à des individus qui se joignent et se coordonnent collectivement de se protéger contre une sursocialisation (une conformité totale du comportement) à la norme unique d’un système marchand mythifié supposé supérieur et commun. Mythe qui, comme le suggère Polanyi, a pour enfant et mal absolu le fascisme.« 

 

Avec d’autres mots, mais une conclusion identique, Patrick ARTUS explique les « Trois ruptures dans le capitalisme « qui vont être indispensables « 

Dans une récente analyse Patrick Artus, chef économiste de Natixis, nous explique mot pour mot :
« Le capitalisme néo-libéral conduit aujourd’hui à deux impasses : l’ouverture de plus en plus rejetée des inégalités, le dérèglement climatique. Pour corriger les désordres de capitalisme libéral, il faut que le capitalisme mette en place trois ruptures :

  • Un fort recul du rendement exigé des fonds propres ; Il faut ramener l’exigence de rentabilité du capital, aujourd’hui déraisonnablement élevée, à un niveau compatible avec un partage équitable des revenus (la réduire de 12% à 6% environ) ; Tant que l’exigence de rentabilité des fonds propres est aussi élevée, les entreprises continueront à déformer le partage des revenus en leur faveur pour obtenir une profitabilité élevée ;

 

  • Une forte destruction de capital devenu inutilisable ; Il faut détruire du capital inutilisable si on veut respecter les engagements climatiques : usines électriques utilisant les énergies fossiles, usines d’automobiles thermiques, gisements de pétrole ; la consommation d’énergies fossiles et les émissions de CO2 restent en croissance nettement plus rapide que ce qui correspond aux engagements climatiques internationaux, pour respecter les engagements climatiques, il va falloir détruire du capital. Il s’agit du capital des industries liées aux énergies fossiles (autos, chimie, électricité d’origine thermique, gisements de pétrole qui ne sont pas complètement utilisés). Cette destruction de capital peut être considérable ;

 

  • Une relocalisation de l’industrie dans l’OCDE, même si les coûts de production y sont élevés. relocaliser des productions dans les pays de l’OCDE même si les coûts de production y sont plus élevés afin de réindustrialiser, de recréer des emplois intermédiaires, d’améliorer la situation de la classe moyenne. 

Il est très peu probable que le capitalisme accepte spontanément ces trois évolutions, qui devraient donc être imposées par les États. »
 
Rien que ça ! Patrick Artus nous annonce tout simplement la remise en cause de la société actuelle et surtout, une remise en cause qui ne sera pas spontanée, mais imposée ! Bref, il annonce qu’il faut ré-encastrer l’économie dans le social et surtout qu’il imposer ce double-mouvement !
C’est un appel à la révolution ! Un tel propos venant du responsable de la recherche économique d’une grande banque montre à quel point nous sommes en train de vivre une mutation majeure.
A suivre …. Espérons seulement que nous aurons l’intelligence collective de nous réformer avant que le double-mouvement ne soit trop violent.

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