C’est un sujet d’une importance majeure lorsqu’il s’agit d’anticiper et d’optimiser la fiscalité des droits de succession au décès du premier des époux, puis au décès du second des époux :

Comment enregistrer le démembrement de propriété (usufruit et nue propriété) sur les placements et autres liquidités bancaires suite au décès du premier des époux ? La convention de quasi-usufruit est elle obligatoire pour que la créance de restitution soit considérée comme un passif déductible au second décès ? 

Sujet sur lequel j’interviens de plus en plus souvent à l’occasion des prestations d’assistance et bilan patrimonial ou d’accompagnement patrimonial (L’accompagnement patrimonial est une nouvelle offre de conseils personnalisés qui semble très appréciée tant les réservations sont importantes – Dans le cadre d’une succession par exemple, il s’agit de vous accompagner pendant les 6 mois du règlement de la succession chez le notaire).

Bien évidemment, en complément de ces deux offres de conseils personnalisés, vous pouvez retrouver nos conseils dans nos livres »Succession » et « Assurance-vie et gestion de patrimoine« .

En effet, au décès d’un des époux, il est fréquent que les héritiers (le conjoint et les enfants) se retrouvent en démembrement de propriété soit :

– En application de l’article 757 du code civil : « Si l’époux prédécédé laisse des enfants ou descendants, le conjoint survivant recueille, à son choix, l’usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d’un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux. »

– En application d’une donation entre époux telle que présentée à l’article 1094-1 du code civil :  » Pour le cas où l’époux laisserait des enfants ou descendants, issus ou non du mariage, il pourra disposer en faveur de l’autre époux, soit de la propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur d’un étranger, soit d’un quart de ses biens en propriété et des trois autres quarts en usufruit, soit encore de la totalité de ses biens en usufruit seulement. »

C’est alors qu’au décès du premier des époux, le survivant devient propriétaire de l’usufruit du patrimoine du conjoint pré-décédé, alors que ces enfants deviennent les nus propriétaires (cf »Usufruit, Nue propriété, Quasi-usufruit : Définition, droits et obligations.« ) :

– Le conjoint devient usufruitier de la moitié de la valeur de la résidence principale lorsque celle ci était détenu en indivision ou en communauté par les époux ; La nue propriété sera transmise aux enfants du défunt ;

– Le conjoint devient usufruitier du patrimoine immobilier détenu par le défunt alors que les enfants deviennent nus propriétaires de ce même patrimoine immobilier ;

– Le conjoint devient usufruitier du patrimoine financier des époux (usufruitier des PEL, Livret A, LDD, valeur de rachat de ses contrats d’assurance vie en application de la réponse ministérielle CIOT, …) ; Les enfants du défunt seront alors nus propriétaires de ce patrimoine financier.

– …

Le démembrement de propriété (usufruit / nue propriété) devient quasi-usufruit lorsqu’il porte sur des placements financiers et sur l’épargne.

S’il est aisé de comprendre le partage de la propriété entre usufruit et nue propriété lorsqu’il s’agit de l’appliquer à un immeuble, le démembrement de propriété sur un actif consomptible par l’usage est plus complexe.

L’usufruit est le droit de jouir de la chose comme un propriétaire mais à charge d’en conserver la substance (article 578 du code civil). Comme jouir d’une somme d’argent, c’est à dire la dépenser, tout en conservant sa substance ? Comment jouir d’une bonne bouteille de vin, c’est à dire la boire, tout en conservant sa substance ? C’est mission impossible et c’est la justification de la notion de quasi-usufruit qui s’appliquera alors à ces biens consomptibles par l’usage.

La notion de quasi-usufruit est définie à l’article 587 du code civil en ces mots : « Si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution. »

Dans la réalité de la pratique, au décès du premier des époux, les biens soumis à quasi-usufruit (placements financiers, compte titre, valeur de rachat des contrats d’assurance vie, …) seront laissés au conjoint survivant. Celui ci pourra en disposer librement, sans rendre de compte aux enfants nus propriétaires, les dépenser, les valoriser, les donner, …

Au décès du second des époux, les enfants nus propriétaires pourront appréhender à leur tour les biens initialement soumis à démembrement de propriété et en devenir plein propriétaire. Les enfants nus propriétaires seront alors en droit d’exercer leur droit de propriété sur ces actif en faisant valoir une créance de restitution, c’est à dire la valeur des biens soumis à quasi-usufruit au jour du décès du second des époux.

Lorsque ces biens sont des sommes d’argent, c’est le nominalisme monétaire qui s’applique et la valeur de la créance de restitution au décès du second des époux est égale à la valeur du patrimoine soumis à quasi-usufruit au décès du premier des époux. Il ne sera pas possible d’appliquer une revalorisation (sauf signature d’une convention de quasi-usufruit qui pourrait autoriser cette modalité – cf  » Le quasi-usufruit, de la convention de quasi-usufruit à l’indexation de la créance de restitution.« ).

Prenons un exemple pour comprendre la notion de quasi-usufruit suite au décès de l’un des époux.

La situation classiquement rencontrée est la suivante :
Monsieur et Madame DUPONT sont mariés sous le régime de la communauté légale (= sans contrat de mariage), ils ont ensemble une fille de 21 ans, Clara.
Leur patrimoine commun est estimé à 1 000 000€ réparti comme suit :

– Résidence principale : 350 000€ ;

– Liquidité bancaire (PEL, Livret, LDD) : 50 000€ ;

– Contrat d’assurance vie souscrit par Monsieur : 300 000€ – Bénéficiaire Madame ;

– Contrat d’assurance vie souscrit par Madame : 300 000€ – Bénéficiaire Monsieur, à défaut leur fille.

Au décès de Monsieur :

Le contrat d’assurance vie souscrit par Monsieur est dénoué et les capitaux sont versés hors succession au bénéficiaire désigné dans la clause bénéficiaire ; Madame reçoit alors un chèque de 300 000€ de la part de la compagnie d’assurance vie. Cette transmission est hors succession, ne fera pas l’objet d’un droit à récompense puisque le bénéficiaire est le conjoint (cf « Assurance vie et récompense au profit de la communauté : lorsque le décès fait naître une récompense …« ). Cette transmission sera également réalisée sans droit de succession, ni autre impôt et taxe. Le conjoint est toujours exonéré.

– L’actif de communauté sera alors de 350 000€ (résidence principale) + 50 000€ (Liquidités bancaires) + 300 000€ (contrat d’assurance vie souscrit par Madame, conjoint survivant) = 700 000€. La succession sera composée de la moitié de cette communauté, soit 350 000€ et sera transmise pour : 

– L’usufruit à Madame, conjoint survivant ; 

– La fille de Monsieur et Madame pour la nue propriété. 

Le partage de la propriété entre usufruit sera le suivant :
 
– Madame disposera de l’usufruit légal sur la moitié de la résidence principale (l’autre moitié lui appartenant en pleine propriété) ;

– Madame disposera d’un quasi-usufruit légal sur la moitié des liquidités bancaires à savoir 25 000€, l’autre moitié lui appartenant en pleine propriété ; Le quasi-usufruit est légal car directement fixé par la loi : Le démembrement portant sur des actifs consomptibles par l’usage est une quasi-usufruit. Le PEL, Livret A, LDD, … sont par nature consomptibles par l’usage.

NB : Un compte titre ou un PEA ne sont pas des actifs consomptibles par l’usage, et ce n’est qu’une convention entre les parties qui permet d’y appliquer un quasi-usufruit laissant les pleins pouvoirs de gestion au quasi-usufruitier. Le quasi-usufruit portant sur un compte titre est un quasi-usufruit conventionnel.

– Madame disposera d’un quasi-usufruit conventionnel sur la moitié de la valeur de son rachat dudit contrat d’assurance vie et cela en application de la réponse CIOT. Ce quasi-usufruit conventionnel portera sur la somme de 150 000€. Le sujet de la réponse ministérielle CIOT est complexe et mérite pourtant toute votre attention tellement il est important. Je ne peut que vous encourager à lire ces articles pour comprendre : « C’est officiel : L’assurance vie du conjoint survivant est exonérée de droit de succession pour moitié. » et « Réponse ministérielle CIOT : Les conséquences fiscales de l’exonération des contrats d’assurance vie du conjoint).
Nous sommes en présence d’un quasi-usufruit conventionnel. La valeur de rachat du contrat d’assurance vie est par nature une créance sur la compagnie d’assurance vie. Le quasi-usufruit résulte alors du choix des parties et
 

Une délicate distinction entre quasi-usufruit contractuel ou conventionnel et le quasi-usufruit qui trouve son origine dans la loi.

La distinction entre quasi-usufruit légal et quasi-usufruit conventionnel est délicate et soumise à interprétation : Le quasi-usufruit conventionnel ou contractuel trouve son origine dans la convention des parties et non dans la loi et plus particulièrement dans l’article 587 du code civil.

Pourrions nous conclure que le quasi-usufruit légal se limite au quasi-usufruit sur des actifs consomptibles par l’usage comme l’argent, les grains, les liqueurs. Tout le reste serait alors quasi-usufruit conventionnel ou contractuel ? (compte titre, valeur de rachat du contrat d’assurance vie, ….).

Cette délicate nuance est pourtant fondamentale au regard du thème de l’article sur le caractère nécessaire de la convention de quasi-usufruit postérieure au décès du premier des époux.

En effet, au terme de l’article 773 du code général des impôts, la créance de restitution, c’est à dire la matérialisation du droit de propriété du nu propriétaire au décès du conjoint usufruit, pourrait ne pas être fiscalement déductible. Les enfants nus propriétaires pourraient devoir payer deux fois les droits de succession :

– Une première fois, au décès de leur premier parent, les enfants nus propriétaires doivent payer les droits de succession sur la valeur de la nue propriété qu’ils reçoivent en héritage ;

– Une seconde fois, au décès de leur second parent, la non déductibilité de la créance de restitution introduite par l’article 773 du CGI, pourrait obliger les enfants nus propriétaires à payer une nouvelle fois des droits de succession sur les biens soumis à quasi-usufruit. (cf « Succession : Que deviennent argent et placements du conjoint décédé et du couple ?« ).

 
L’article 773 du CGI précise :

« Toutefois ne sont pas déductibles :
[…]
2° Les dettes consenties par le défunt au profit de ses héritiers ou de personnes interposées. Sont réputées personnes interposées les personnes désignées dans les articles 911, dernier alinéa, et 1100 du code civil.
Néanmoins, lorsque la dette a été consentie par un acte authentique ou par un acte sous-seing privé ayant date certaine avant l’ouverture de la succession autrement que par le décès d’une des parties contractantes, les héritiers, donataires et légataires, et les personnes réputées interposées ont le droit de prouver la sincérité de cette dette et son existence au jour de l’ouverture de la succession ;
[…]

 
Et c’est seulement la doctrine fiscale, c’est à dire l’interprétation du texte par l’administration fiscale qui autorise la déductibilité de la créance de restitution sous condition que le quasi-usufruit trouve son origine dans la loi et qu’il ne soit pas contractuel ou conventionnel.

« Enfin, la prohibition du 2° de l’article 773 du CGI n’est applicable qu’aux seules dettes d’origine contractuelle et ne peut viser celles résultant d’un quasi-usufruit qui trouve sa cause dans la loi (Code civ., art. 587) [Cass. com., arrêt du 4 décembre 1984].

En l’espèce, la défunte avait consenti à ses enfants une donation-partage de la nue-propriété d’un immeuble, tout en se réservant l’usufruit de celui-ci. À la suite d’une déclaration d’utilité publique, ce bien a ultérieurement été vendu à l’État et le prix intégralement versé à la mère. Les droits des intéressés se sont donc trouvés reportés sur cette somme d’argent (application de l‘article L. 13-7 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique).

Ainsi, après transformation de l’usufruit portant sur un immeuble en un quasi-usufruit, les enfants de nus-propriétaires sont devenus créanciers. Ils pouvaient donc déduire de l’actif de la succession de leur mère, dans les conditions prévues par l’article 768 du CGI le solde de l’indemnité d’expropriation qui leur restait dû à son décès. »

La convention de quasi-usufruit en théorie non indispensable pour le quasi-usufruit qui trouverait son origine dans la loi, mais indispensable pour le quasi-usufruit conventionnel ou contractuel.

C’est la conclusion théorique du sujet de l’intérêt ou non de la convention de quasi-usufruit.
Néanmoins, au regard de la pratique, la rédaction d’une convention de quasi-usufruit m’apparaît indispensable pour les raisons suivantes :

– La convention de quasi-usufruit permettra d’inclure les actifs soumis à quasi-usufruit conventionnel et notamment les contrats d’assurance vie souscrits par le conjoint survivant et cela en application de la réponse ministérielle CIOT ;

– La convention de quasi-usufruit aura au moins la vertu de conserver en mémoire le montant des actifs soumis à quasi-usufruit et facilitera grandement les travaux aux décès du second des époux (qui peut intervenir des très nombreuses années après le premier décès) ;

– La déductibilité et la distinction entre quasi-usufruit légal et conventionnel n’est pas prévue par la loi, mais simplement dans une doctrine administrative, car le principe est la non-déductibilité en l’absence d’acte notarié enregistrant la dette et la créance de restitution.

– … Bref, en un seul mot : la pratique rend obligatoire la rédaction d’une convention de quasi-usufruit pour éviter la double imposition des capitaux soumis à quasi-usufruit. D’expérience, je n’ai jamais vu un notaire reconstituer la créance de restitution au décès du second des époux si une convention de quasi-usufruit n’avait pas été signé au premier décès.

En l’absence de convention de quasi-usufruit, il est très rare de voir appliquer une créance de restitution.