A qui profite l’inflation ?

«Les pauvres c‘est fait pour être très pauvres et les riches très riches, voila !»

Cette réplique  de Don Salluste (Louis De Funes) dans «la folie des grandeurs»  n’est pas restée célèbre sans raisons : la réalité historique est à la hauteur de la fiction cinématographique.

Mais s’ il existe un point commun, il y a aussi des différence entre 1971, moment de la sortie du film, et l’époque dans laquelle se déroule l’action du film, celle du «siècle d’or» espagnol.

Le point commun c’est la forte inflation.

En effet, dans les années 70, en plein dans les 30 glorieuses, l’inflation galopait pour atteindre un pic vers 1980, mais l’ascenseur social fonctionnait, et les foyers européens et américains s‘équipaient de ce qui devenait progressivement le confort moderne. Et les usines tournaient à plein régime.

On créait de la richesse, parallèlement à la création  monétaire.

Une forme d’égalité de mode de vie se mettait en place.

La différence vient du développement industriel.

Les débuts de l’inflation en Europe commencent avec la découverte des mines d’argent au Pérou et au Mexique, au début des années 1500, qui ont a alimenté pendant deux siècle l’économie européenne, en commençant par l’Espagne (cf. « Miracle et mirage de l’argent illimité de Potosi.« 

 Ce pays est hélas resté féodal, et cette forme de création monétaire n’était aucunement suivie par une création de richesse manufacturière, mais engendrait au contraire un fort déficit du commerce extérieur, en même temps qu’une demande interne, excédentaire à l’offre qui ne suivait  pas. 

Toutes choses génératrices d’inflation, puisqu’il faut toujours plus d’argent pour acheter à l’étranger.

Dans le cas présent il s’agissait d’abord d’une forte hausse du prix du blé, avec des famines chez les pauvres évidemment.

On voit donc bien qu’une même cause, l’inflation monétaire peut aboutir à des résultats très différents quant à l’ équilibre social et le sort des plus pauvres, selon que l’activité du pays est dynamique ou non.

Si la création monétaire accompagne un développement de l’activité des entreprises, c’est au bénéfice de tous.

Si l’inflation a lieu en période de baisse de cette activité, avec désindustrialisation et déficit du commerce extérieur, les plus pauvres sont les premiers touchés.

Mais qu’en est il exactement pour les riches ?

Les riches n’ont jamais eu de problème avec l’inflation,  leur positionnement dépend uniquement des taux d’intérêt.

Et le phénomène est mondial.

Extrait : « Les taux d’intérêt en France : une perspective historique« 

Jusqu’à la guerre de 14, les taux d’intérêts étaient le plus souvent supérieurs à l’inflation. (taux réels positifs) (taux réels = taux nominaux-inflation).

Au 19eme siècle, la déflation était même presque la règle générale.

C’était simple, d’abord on prêtait à intérêts, par la suite  on  achetait des obligations, les banquiers jouaient avec l’argent des clients pour avoir un effet de levier, et cela a fait leur fortune, (dont certains descendants existent encore aujourd’hui) ainsi qu’à d’autres rentiers. (les fameux rentiers de la belle époque).

L’inflation qui a suivi la 1ere guerre mondiale afin de payer la reconstruction, a ruiné les rentiers qui ont voulu le rester, sans s’adapter à la nouvelle donne.

Cela n’a pas cessé avec la 2eme guerre.

Pendant les trente glorieuses les taux d’intérêts étaient inférieurs à l’inflation (taux réels négatifs) ; et avec l’exode rural, cela à profité à l’immobilier :

On achetait ou l’on construisait à crédit un immeuble, l’année suivante les prix des appartement avaient augmenté de 10 ou 15 %, on revendait les 4/5 de l’immeuble, et l’on gardait un ou deux appartements qui seraient mis en location avec des loyers à plus de 10 %/an. Certains possèdent comme cela des dizaines  d’appartements.

Dans les années 70/80 à 2000, on a voulu casser l’inflation devenue envahissante, par une hausse des taux.

Les taux réels sont alors redevenus positifs, supérieurs à l’inflation ( les taux nominaux atteignant jusqu’à 20/25%)

Ce fut de nouveau la grande période des obligations, certains fonds obligataires gagnant souvent jusqu’à 20/30% / an.

Parallèlement, on a vu aussi la chute de l’immobilier à partir de 1991 jusqu’à 1998, attribuée à la 1ere guerre du golfe, mais qui en fait était liée à la politique monétaire de l’époque.

A partir des années 2000, l’inflation vaincue, les taux réels sont redevenus négatifs, et les actifs, l’immobilier en particulier sont repartis à la hausse.

Qu’en est il aujourd’hui ?

A force d’injecter des liquidités, l’inflation repart à la hausse, comme dans l’ Espagne du 16eme/17eme  siècle.

On doit noter que cette inflation, était  vraiment apparue quelques dizaines d’années après le découverte des Amériques. Un peu avant 1600. Il y a eu un temps de latence assez long. (Mais le temps économique passait plus lentement que maintenant…)

En ce qui nous concerne, la financiarisation de l’économie commence vraiment avec la crise de 2008 avec les premiers QE.

Pour le moment, de multiples facteurs conjoncturels intervenant avec la crise du Covid, on ne connaît pas encore son ampleur future. Mais elle semble s’installer durablement, surtout si l’on considère que les rachats d’actifs sont loin d’être terminés…

Pour des raisons maintes fois expliqués sur le blog, les taux qui sont maintenant administrés vont rester bas, et durablement inférieurs à l’inflation (taux réels négatifs) Ils sont même actuellement en 2022,  plus négatifs qu’ils ne l’étaient en 2020 ou 2021. 

Taux réels janvier 2022 = USA – 6 % environ, France -4 %

Lorsque les taux réels sont négatifs, le prix du temps le devient également, et celui des actifs tend vers l’infini.

Bien comprendre cela est essentiel, car en dépit de la récente poussée inflationniste, personne dans le monde occidental n’envisage de remonter les taux d’intérêts au niveau de cette inflation, en tous cas pour le moment.

Les américains vont augmenter leurs taux de base en 2022 et 2023, mais seulement par petites touches. Peut être 1 % sur l’année.

Pour qu’il en soit autrement, il faudrait que l’inflation échappe à tous contrôle dans quelques années. (cela peut arriver ..)

Les dettes publiques et privées sont astronomiques, et la nécessaire tenue des marchés financiers, n’autorisent plus une telle politique monétaire qui équivaudrait à une apocalypse.

Si vous avez suivi les explications, vous savez maintenant ce qui va se passer, et comment  sur le long terme, le capital va se positionner.

La valeur des actifs continuera  de s’accroître, et il deviendra de plus en plus difficile de devenir «possédant», propriétaire  immobilier ou d’actions, uniquement par son travail.

C’est déjà le cas petit à petit, puisque si en 1970 le capital dont disposaient les français provenait pour 35% de l’héritage, cette part est  aujourd’hui  de 60%.

Et naturellement «l’argent allant à l’argent», une petite partie des possédants  concentre progressivement une très large part des richesses.

Vous l’avez sûrement noté, c’est l’un des sujets de la pré-campagne présidentielle, avec le récent rapport du conseil d’analyse économique, (rattaché au gouvernement)  préconisant une taxation des héritages les plus importants. (au delà de 13M€)

Comme toujours on apporte une mauvaise réponse à une vraie question, puisque cela ne traite pas du tout le problème et présente de nombreux inconvénients notamment pour la transmission des entreprises.

Selon l’obédience politique de chacun, on propose de taxer d’avantage les succession des (très) riches au nom de la justice sociale, ou au contraire de moins taxer les successions pour favoriser la  transmission du patrimoine, de manière à aider le plus grand nombre.

Notons au passage que nous sommes l’un des pays qui taxe déjà le plus les successions.

Mais autant le dire tout de suite, rien ne sera fait, les français étant opposés pour 90% d’entre eux à toute taxation supplémentaire des héritages.

Il y aura peut être même quelques réductions pour les donations, ou pour les petits enfants, tout cela à la marge, pour des raisons budgétaires.

Mais si j’en reviens au titre de l’article, à la formule de Don Salluste,  l’écart de patrimoine entre les plus riches et les plus pauvres, ne fera que s’accentuer dans les années avenir.

Cela serait il dans la nature des choses ?

Le capital nous le savons, tout comme les individus et les civilisations, est mortel.

Des événements extérieurs comme les guerres ou les révolutions, changent la donne de temps en temps, si ce n’est pas les mauvaises gestions patrimoniales.

Mais si l’on se place à l’échelle de quelques générations s’attachant à la pérennisation du capital qui leur est confié, et en dehors de toute réflexion morale,  on peut répondre par l’affirmative.

Aussi loin que l’on remonte dans le temps et en tous lieux, nous sommes encore loin d’atteindre les différences de patrimoine qui existaient entre les classes extrêmes des sociétés du passé. (à part peut être aujourd’hui ceux qui possèdent les multinationales qui sont de ce point de vue les descendants des princes  et des dictateurs)

Et nous ne parlons même pas de l’esclavage sous une forme ou une autre, qui était le mode de fonctionnement de la plupart des sociétés du passé. L’esclave ne possédait même pas son propre corps.

Historiquement,  Don Salluste avait raison, surtout si l’on ne s’arrête pas à la zone riche de l’OCDE, mais que l’on prend en compte des pays  plus pauvres,  comme l’Indonésie, l’Argentine, le Kazakhstan, etc…et même la Turquie, avec des monnaies faibles sujettes aux dévaluations régulières. Partout des troubles sociaux sont à craindre pour cette raison..

On remarquera par ailleurs que toutes les tentatives pour rééquilibrer cette situation ont jusque là été vouée à l’échec ( le communisme à même beaucoup profité à ceux qui se sont accaparés le pouvoir)

Il y a donc assez peu de chances que cela change à l’avenir.