Si vous êtes mariés sous le régime de la communauté, peut-être avez-vous déjà souscrit des contrats d’assurance-vie pour profiter de ces avantages fiscaux et successoraux. 

Cependant, savez-vous que certaines formalités doivent être accomplies par le notaire au décès du premier des époux pour profiter pleinement de tous les avantages fiscaux de l’assurance-vie. 

Vous êtes malheureusement nombreux à passer à côté.

Mode d’emploi pour profiter de tous les avantages fiscaux de l’assurance-vie. . 

Assurance-vie non dénouée d’époux mariés sous le régime de la communauté : une histoire à rebondissement

Le traitement civil des contrats non dénoués : Arrêt Praslicka 1992

Dans le cas de la succession d’un époux commun en biens, le traitement civil du contrat d’assurance-vie non dénoué du conjoint survivant est réglé depuis de nombreuses années.

En effet, la valeur de rachat du contrat doit être réintégrée à l’actif de communauté, conformément à l’article 1401 du Code civil. C’est la solution logique affirmée par la Cour de cassation dans le fameux arrêt Praslicka du 31 mars 1992 (Cass. 1er civ., 31 mars 1992, n° 90-16343).

C’est ainsi que, sur le plan civil, la moitié du contrat d’assurance-vie de l’époux survivant fait partie de l’actif de succession.

Cette solution ayant été confirmée depuis à plusieurs reprises par la même Cour (notamment Cass. 1er civ., 19 avril 2005, n° 02-10985).

Pour aller plus loin : Assurance-vie et récompense au profit de la communauté

Le traitement fiscal : une solution plus fluctuante

Si la règle civile bénéficie d’une grande stabilité, sa conséquence fiscale a, en revanche, subi quelques évolutions.

Réponse ministérielle Bacquet 2010

Après de nombreuses années d’incertitude sur les conséquences fiscales de l’arrêt Praslicka, la réponse civile de la Cour de cassation a été littéralement transposée en matière fiscale en 2010.

En effet, la Réponse Ministérielle Bacquet du 29 juin 2010 (Rép. Min. 26231 « Bacquet », JOAN, 29 juin 2010, p. 7283) nous indiquait que : « conformément à l’article 1401 du code civil, et sous réserve de l’appréciation souveraine des juges du fond, la valeur de rachat des contrats d’assurance-vie souscrits avec des fonds communs fait partie de l’actif de communauté soumis aux droits de succession dans les conditions de droit commun. ».

Cette réponse ministérielle s’appuyait sur la réforme (loi n° 2007-1223 du 21 août 2007) instituant l’exonération de droits de succession au profit du conjoint survivant, considérant que la réintégration de la valeur du contrat à l’actif de communauté n’impacterait pas la fiscalité de la succession…

C’était oublier que les enfants ne bénéficient pas de l’exonération des droits de succession !

L’application de la réponse ministérielle Bacquet entre 2010 et 2016 a ainsi donné lieu à des doubles impositions injustifiées, les enfants ne percevant pas les fonds du contrat au 1er décès.

Réponse ministérielle Ciot 2016

C’est dans ce contexte que Monsieur CIOT interpelle le Gouvernement sur les incohérences et les difficultés liées au traitement fiscal des contrats d’assurance-vie non dénoués financés avec des fonds communs (Question n° 78192 publiée au JO le 21 avril 2015 page 2952).

La Réponse Ministérielle CIOT du 23 février 2016 instaure ainsi une scission entre droit civil et droit fiscal.

Pour toutes les successions ouvertes depuis le 1er Janvier 2016, la valeur d’un tel contrat d’assurance-vie non dénoué : 

  • doit être réintégrée à la communauté pour la liquidation civile ;
  • ne doit pas être prise en compte pour le calcul des droits de succession.

Oui vous avez bien lu, la valeur du contrat est transmise aux héritiers civilement en franchise de droits de succession.

Prenons un exemple.

M. et Mme Y : 

  • sont mariés sous le régime légal de la communauté ;
  • ont un fils ;
  • sont propriétaires de leur résidence principale qui vaut 200 000,00 euros (bien commun) ;
  • et détenteur chacun d’un contrat d’assurance-vie d’une valeur de 100 000,00 euros financés avec des fonds communs (x2 = 200 000,00 euros).

Au décès de M. Y, la communauté se compose de : 

  • la maison pour 200 000,00 euros ;
  • le contrat non dénoué de Madame pour 100 000,00 euros (le contrat de Monsieur étant dénoué à son décès et traité hors succession).

La succession portant sur la moitié de la communauté, l’actif successoral civil s’élève à 150 000,00 euros.

Pourtant, conformément à la réponse ministérielle Ciot, les droits de succession ne seront calculés que sur la part de la maison, c’est-à-dire 100 000,00 euros.

Dans cet exemple, 50 000,00 euros sont donc transmis sans taxation.

C’est ainsi que la souscription de contrats d’assurance-vie avec des deniers communs est devenue une bombe patrimoniale…

Cependant, si rien n’est fait au moment du premier décès, la taxation sera simplement reportée au second décès lorsque le contrat de Mme Y sera dénoué.

Et voilà comment passer à côté d’une fiscalité avantageuse… Voyons ensemble comment éviter cet écueil lors du règlement de la succession chez le notaire.

En pratique : Comment se passe le règlement d’une succession chez le notaire ?

Pour bien comprendre pourquoi il est très facile de passer à côté des bénéfices fiscaux de la réponse ministérielle CIOT, il est utile de savoir comment se déroule concrètement le règlement d’une succession.

Le déroulement habituel d’un dossier de succession

Lorsqu’un notaire est chargé de régler une succession, en dehors des situations particulières qui requièrent des actes spécifiques, trois actes sont reçus par l’officier public : 

1/ Un acte de notoriété constatant la dévolution successorale, répondant ainsi aux questions : 

  • qui sont les héritiers légaux ?
  • et existe-t-il des dispositions de dernières volontés telles qu’un testament ou une donation entre époux ?

2/ Une attestation de propriété immobilière destinée : 

  • à constater le transfert de propriété des biens immobiliers aux héritiers ;
  • à déterminer les quotes-parts revenant à chacun ;
  • à être publiée au fichier immobilier (service de publicité foncière).

3/ Une déclaration de succession (cet acte n’étant pas un acte authentique, mais un formulaire de l’administration) permettant : 

  • de déclarer à l’administration fiscale la composition du patrimoine du défunt ;
  • de payer le cas échéant les droits de succession dus.

Ce n’est que lorsque la situation l’y oblige que le notaire procède à un partage civil, à l’élaboration d’une convention de quasi-usufruit ou tout autre acte utile pour le cas particulier.

Dans le cas fréquent du décès d’un époux laissant pour lui succéder son conjoint survivant et les enfants issus de ce mariage, la liquidation civile de la succession n’est pas utile. En effet, le conjoint survivant bénéficie de l’usufruit sur les biens du couple et les enfants hériteront du patrimoine à son décès.

D’où la nécessité d’informer le notaire de tous les éléments particuliers vous concernant, notamment l’existence des contrats d’assurance-vie non dénoués.

La particularité des contrats d’assurance-vie, dénoués ou non

Les contrats d’assurance-vie dénoués bénéficient d’un traitement particulier puisqu’ils sont civilement hors succession (article L132-12 du Code des assurances), mais que dans certains cas ils doivent être repris dans la déclaration de succession.

Certains d’entre vous reconnaîtront peut-être ici une situation vécue. Le notaire demande des informations sur les contrats d’assurance-vie du défunt, et l’assureur ne veut pas les lui communiquer. Le règlement de la succession est bloqué… En tant qu’héritier, vous êtes pris en otage au milieu de cette situation qui semble inextricable.

Mais là n’est pas la question aujourd’hui (Pour aller plus loin sur ce thème, consultez l’article Faut-il déclarer l’assurance-vie au notaire ?).

Le problème qui nous anime est celui des contrats d’assurance-vie non dénoués.

Maintenant que vous savez qu’en pratique certains assureurs refusent de transmettre les informations concernant les contrats du défunt, imaginez ce qu’il en est des contrats du conjoint survivant.

D’où, je le répète, l’absolue nécessité pour l’époux survivant d’informer le notaire et de l’aider à obtenir les informations sur ledit contrat non dénoué.

D’autant que cacher volontairement l’existence d’un tel contrat au notaire peut relever d’un recel de communauté (article 1477 du Code civil).

C’est à cette unique condition que pourront être envisagées des mesures permettant de bénéficier pleinement des avantages de la réponse ministérielle CIOT.

En effet, si rien n’est fait, la charge fiscale « économisée » au premier décès sera taxée au second dans le cadre du dénouement du contrat.

Les solutions à envisager pour bénéficier des avantages fiscaux de la réponse ministérielle CIOT 

La difficulté qui se présente en présence d’un contrat d’assurance-vie non dénoué réintégré dans l’actif de communauté est qu’il n’a pas vocation à être démembré ou indivis.

Plusieurs possibilités sont alors envisageables.

Le partage de succession

Dans ce cas, chaque héritier se verra attribuer un bien représentant la quote-part à laquelle il a droit civilement dans la succession.

Cependant, cette solution présente deux inconvénients majeurs : 

  • elle soumet l’opération au droit de partage de 2,5 % ;
  • et peut générer une soulte à verser pour l’un des héritiers.

Le rachat partiel du contrat assorti d’une convention de quasi-usufruit

Pour mettre en œuvre cette solution, il convient : 

  • de procéder au rachat de la moitié du contrat (part revenant à la succession) pour éviter l’imposition au moment du dénouement du contrat ;
  • de conclure une convention de quasi-usufruit pour permettre au second décès la déduction de la créance de restitution et le règlement de cette somme directement aux nus-propriétaires sans droits ni frais.

Pour mieux comprendre ce mécanisme, je vous invite à lire l’article sur la convention de quasi-usufruit.

Pourquoi ne pas conclure une convention de quasi-usufruit directement sur le contrat d’assurance-vie ?

Car ce montage juridique reste très discutable, le régime du contrat d’assurance-vie étant spécifique.

Le rachat partiel après cantonnement par le conjoint survivant

Si le conjoint survivant a obtenu ses droits via un testament ou une donation au dernier vivant, il peut choisir de cantonner son héritage, décidant ainsi des actifs sur lesquels il souhaite exercer ses droits (articles 1002-1 et 1094-1 du Code civil).

Il peut ainsi : 

  • être héritier des sommes épargnées dans le contrat d’assurance-vie souscrit à son nom sur lequel s’appliqueront ses droits héréditaires en fonction de l’option choisie (usufruit ou 1/4 PP) ;
  • ou choisir de laisse la moitié dudit contrat à ses héritiers.

Dans le premier cas, l’époux survivant détiendra l’intégralité du contrat (sa moitié de communauté et la moitié prélevée par cantonnement). 

Mais ce choix conduirait à ne laisser dans la part des enfants aucun droit sur la valeur du contrat d’assurance-vie non dénoué, alors même que cet actif n’est pas imposable. De plus, cela implique que le patrimoine soit constitué de biens dont le conjoint n’aura pas l’usage.

Le conjoint peut alors préférer la seconde option qui consiste à renoncer à sa part de succession sur le contrat d’assurance-vie (il conservera quand même la moitié du contrat au titre de la communauté).

De cette manière, civilement les droits des enfants porteront sur cet actif, qui depuis la réponse ministérielle Ciot est exonéré de droits de succession.

Par la suite, le conjoint pourra racheter la moitié de son contrat pour le transmettre à ses enfants sans droits ni frais…

Pour aller plus loin sur cette question et avoir un exemple chiffré : Le cantonnement appliqué à l’assurance-vie.

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