Je ne comprends plus les marchés financiers. Je suis largué.

Voilà. Ce qui devait arriver, arriva. Je suis un vieux con. À peine 42 ans, et déjà largué par la nouvelle génération d’investisseur/ spéculateur.

Je ne comprends plus les moteurs de valorisation des actifs financiers. Mon analyse fondamentale et le bon sens paysan qui sont mes marqueurs ne me permettent pas de suivre le mouvement de hausse des marchés.

J’essaie de me soigner, mais je dois vous avouer humblement, ne pas réussir à changer mon logiciel de pensée. Je n’arrive pas à comprendre les valorisations incroyables de Nvidia et compagnie, je n’arrive pas à comprendre la soutenabilité du bitcoin. Je n’arrive pas à comprendre comment les flux majoritaires vers les ETF ne sont pas en train de détruire le concept même de marché…

Bref, je ne suis pas dans le mouvement actuel. À court terme, je suis hasbeen. Je me raccroche sur l’idée qu’à long terme, le retour aux fondamentaux est inévitable… mais si, cette fois, c’était vraiment différent ?

Je ne sais pas.

Tous les mardis soir, j’accompagne mes enfants à la piscine. Pendant la séance, je discute avec le guichetier. Âgé d’environ 30 ans, il s’est pris de passion pour l’investissement spéculatif en crypto. C’est passionnant. Il lit tous les livres d’analyse graphique, absorbe une quantité astronomique d’informations et d’analyses et passe ses journées à spéculer sur les cryptos et un peu en actions.

Je passe donc mon mardi soir à discuter avec lui et essayer de comprendre comment il réfléchit, comment il analyse le marché. Il me semble parfaitement représentatif de cette nouvelle vague d’investisseur /spéculateur.

Je suis sincèrement bluffé par son niveau de compétence en si peu de temps. Il gère son portefeuille avec calme, maitrise et une sérénité incroyable. Les fondamentaux ne l’intéressent pas. Il sait qu’il n’y a rien derrière les cryptos mais ce n’est pas son problème : Il est là pour essayer de gagner de l’argent. Le reste n’a pas d’importance.

La spéculation, rien que la spéculation. Il veut faire des gros coups, rapidement. Pas de sentiment. Lorsque je lui parle de mes actions, des entreprises, de leur modèle économique, du potentiel à long terme, il m’écoute par politesse et respect de mon expérience, mais ce n’est pas vraiment son sujet.

Ces discussions hebdomadaires sont particulièrement enrichissantes. Elles me permettent de comprendre à quel point je ne suis pas dans le coup et à quel point je ne suis pas câblé intellectuellement pour capter la croissance actuelle des marchés.

Ce n’est pas la peine d’essayer, je n’y arriverais pas. Je ne suis pas capable d’investir sans porter mon attention aux fondamentaux solides, sans références à la théorie financière qui veut que la valeur d’un actif n’est rien d’autre que la somme des flux futurs actualisés. Et donc, que sans usage fort qui permet de dégager un flux futur pérenne (dividende, bénéfice, coupon, loyer, revenu), il n’y a pas de valeur.

Ce n’est pas grave. Je suis un investisseur de long terme et je me raccroche à l’idée, jamais démentie, qu’à long terme, le retour à la moyenne donne toujours raison aux fondamentaux.

J’ai vécu la bulle des valeurs de l’internet au début des années 2000. J’y étais, et j’étais déjà un ringard, même si je n’avais que 18/20 ans. Je n’ai jamais été capable de participer à une bulle, capable d’investir sans comprendre la raison fondamentale de la valorisation.

Le temps long m’a toujours donné raison, et cette fois ne sera pas différente. À court terme, ma stratégie value est évidemment trop conservatrice face au mouvement qui se met tranquillement en place… mais à long terme, je sais que ma stratégie est bonne.

Néanmoins, je sais que les prochains mois, peut être années, vont être difficiles. Je vais passer pour un mauvais tant mes performances vont paraître mauvaises en comparaison avec les performances incroyables affichés par ceux qui sont capables de participer à la bulle.

Ce n’est pas grave. On fait le point dans 10 ans.

À suivre.