Transmettre son patrimoine de manière optimale nécessite toujours une grande réflexion.
En l’absence d’héritiers directs, ce processus est poussé à son paroxysme. En effet, le droit fiscal français prévoit un taux d’imposition élevé pour toute autre personne que les héritiers réservataires. Si tel est votre cas, comment faire pour avantager vos proches grâce à votre succession sans les voir crouler sous les droits de mutation ?
Le legs net de frais et de droits répond partiellement à cette question. Car, je vous l’annonce dès maintenant : octroyer une part d’héritage beaucoup plus importante à votre entourage ne sera pas raisonnable sans prendre le risque de contestation par l’administration fiscale sous l’angle de l’abus de droit.
Mais que diriez-vous de réduire le montant dû aux impôts tout en réalisant une bonne action ? Découvrons ensemble le legs avec charge et ses applications possibles.
Qu’est-ce qu’un legs universel avec charge ?
Un legs universel
Avant toute chose, définissons le legs.
Il s’agit d’une méthode de transmission à titre gratuit qui ne produit ses effets que lors du décès. À titre comparatif, la donation permet de transmettre un ou plusieurs biens présents, de votre vivant et de manière immédiate.
Deux personnes sont concernées :
- le testateur, qui rédige le testament et lègue son patrimoine ;
- le légataire, qui bénéficie de la transmission.
Parmi les legs, on distingue plusieurs catégories :
- Le legs universel : l’ensemble du patrimoine compris dans la succession est transmis à une ou plusieurs personnes.
- Le legs à titre universel : cette fois-ci, seule une partie du patrimoine est concernée. C’est le cas d’une quotité déterminée de l’ensemble de la succession, d’un type de bien particulier ou encore d’une quote-part de tous les immeubles ou meubles par exemple.
- Le legs à titre particulier : un ou plusieurs biens déterminés sont attribués à une personne.
Avec charges
Et qu’en est-il du legs avec charges (ou legs net de frais et de droits) ?
Sous ce terme se cache une technique particulière visant à gratifier un légataire à condition qu’il respecte certaines exigences.
De manière plus concrète et adaptée au cas de figure qui nous intéresse, elle implique de faire bénéficier un organisme d’intérêt général d’un legs universel (ou à titre universel). Ce dernier reçoit ledit legs avec la charge de faire bénéficier une tierce personne, désignée par le testateur, d’un legs particulier.
Le légataire à titre particulier n’a alors aucun frais à débourser.
L’organisme est en principe exonéré du paiement des droits de succession. Cependant, il aura la charge de s’acquitter des droits relatifs au legs particulier.
De manière concrète, l’organisme en question devra verser une somme (à déterminer) à la personne de votre choix.
L’organisme devra payer des droits de mutation à titre gratuit sur la somme effectivement reçu par le légataire (= celui qui reçoit le legs) en fonction du lien de parenté entre le légateur (= celui qui rédige le testament) et le légataire (= la personne qui reçoit le legs).
Il pourrait être tentant d’indiquer une charge importante afin d’améliorer le montant du capital effectivement reçu par le légataire. Mais attention à l’abus de droit sous l’angle de la fictivité du testament par absence d’intention libérale.
Lors de la rédaction du testament, l’intention libérale première vise à désigner légataire une association ; Dans l’hypothèse ou la charge de reverser un capital à une tierce personne réduirait à néant le legs effectif à cette dernière, l’administration fiscale aurait raison d’y voir un abus de droit.
Frédéric Grosjean, Responsable du service des legs et de la gestion du patrimoine immobilier, Institut Pasteur (www.pasteur.fr), explique parfaitement le risque avec ces mots :
[NDLR : Dans l’hypothèse ou ] l’actif successoral serait entièrement absorbé [NDLR : par la charge], il ne resterait plus rien pour le légataire universel, l’Institut P. dans notre exemple. On risque alors le «1er péché du juriste», car l’intention libérale qui fonde la libéralité est absente à l’égard du légataire universel, nonobstant sa vocation, seulement, à recevoir.Il serait facile à l’administration fiscale, sur le fondement de l’article 64 du livre des procédures fiscales, d’établir l’abus de droit et de remettre en cause tout le montage. « L’abus de droit est le châtiment des surdoués de la fiscalité… ».
On prendra donc garde à ce que le légataire universel, surtout s’il est une fondation, soit effectivement gratifié d’une somme suffisante. De plus, la fondation pourrait être amenée à refuser le legs si elle ne recevait rien ou presque rien, et le successible se retrouverait alors dans l’obligation d’acquitter les droits sur sa part successorale.
Source : LE LEGS NET DE FRAIS ET DROITS : LA PHILANTHROPIE SANS DEPOSSEDER SES HERITIERS
Néanmoisn le legs net de frais et de droits présente différents avantages :
- permettre à une personne n’ayant pas de descendants de faire bénéficier ses proches de sa succession à moindres frais et ainsi augmenter le montant total revenant à l’héritier (dans des limites raisonnables qui permettront d’éviter l’abus de droit).
- participer à un projet philanthropique ;
- amoindrir la part revenant à l’administration fiscale ;
Concrètement, au lieu de « donner » votre argent aux impôts, vous le donnez à une association et à une cause de votre choix et un peu plus à votre héritier.
Quid du legs particulier ?
Vous l’avez probablement noté, j’ai évoqué l’institution d’un organisme en tant que légataire universel ou à titre universel. Faut-il comprendre que le legs à titre particulier est exclu de ce dispositif ?
Trêve de suspense : la réponse est non.
Vous pouvez tout à fait prévoir de transmettre un bien précis à une association, à charge pour elle d’en remettre une partie à une personne de votre choix. Toutefois, attention au respect de la quotité disponible !
En effet, si vous décidez de recourir au legs net de droits et que vous avez des descendants et/ou que vous êtes marié, un impératif apparaît. En tant qu’héritiers réservataires, une part de votre patrimoine leur est réservée.
Vous pouvez alors librement disposer de :
- la moitié de votre patrimoine si vous avez un enfant ;
- un tiers en présence de deux enfants ;
- un quart à partir de trois enfants ;
- trois quarts s’il existe un conjoint survivant sans descendance ;
- etc.
C’est ce que l’on appelle la « quotité disponible ».
Prévoir un legs particulier dans ce cas de figure est donc plus périlleux. La valeur du bien transmis doit coïncider avec le montant de la quotité disponible.
Dans quels cas est-il intéressant de prévoir un legs net de frais et de droits ?
Pour quels héritiers ?
Il est pertinent d’avoir recours à ce type de legs si vous n’avez pas de descendance directe. Cet intérêt est, notamment, fiscal.
En effet, plus le degré de parenté entre héritier et défunt est important, moins la fiscalité est avantageuse en matière de droits de mutation. Par exemple :
- les enfants bénéficient d’un abattement de 100 000 €, au-delà duquel un taux d’imposition est appliqué (de 5 à 45 % en fonction de différentes tranches) ;
- les neveux et nièces doivent payer des droits à hauteur de 55 % après un abattement de 7 967 € seulement (sauf s’ils héritent en lieu et place de leurs parents) ;
- une personne avec laquelle vous n’avez pas de lien de parenté bénéficie seulement d’un abattement de 1 594 € et doit s’acquitter d’une imposition de 60 %.
Pour en savoir plus sur les droits de succession, consultez notre article « Mode d’emploi pour calculer les droits de succession et comprendre qui sont vos héritiers légaux ».
Les frais de succession sont particulièrement élevés pour ces deux dernières catégories. Si vous ne prenez pas de disposition testamentaire relative à un legs avec charge, une part importante de votre patrimoine reviendra à l’État.
Dans quel état d’esprit ?
Outre cet avantage fiscal, la philanthropie peut entrer en jeu puisqu’un organisme d’intérêt général peut bénéficier d’une part de votre patrimoine.
Par conséquent, en qualité de testateur, vous devez avoir la volonté de gratifier un organisme. La seule intention de se servir d’un intermédiaire en tant que « passe-droit » fiscal n’est pas suffisante !
Pour éviter tout abus fiscal, s’assurer de choisir un bénéficiaire qui soit en mesure d’accomplir sa mission d’intérêt général est primordial.
Il doit :
- être fiable ;
- faire partie des établissements reconnus d’utilité publique bénéficiant d’une exonération de droits de mutation à titre gratuit (article 795 du Code général des impôts) ;
- disposer de capacités financières suffisantes afin de mener à bien sa mission d’intérêt général.
Illustration chiffrée
Prenons un exemple concret pour illustrer mon propos :
Bien que n’ayant jamais eu d’enfants, vous êtes très proche de votre nièce. Vous souhaitez qu’elle hérite de votre résidence principale, dont la valeur est estimée à 200 000 €.
En l’instituant légataire dans votre testament, elle devra payer des droits de mutation à titre gratuit à hauteur de 105 618,15 € et pourra in fine bénéficier de 94 381,85 €.
En effet, elle est taxée à hauteur de 55 % après déduction d’un abattement de 7 967 €.
Le calcul est le suivant : (200 000 – 7 967) x 55 %
Sur les conseils de votre conseiller en gestion de patrimoine et de votre notaire, vous décidez de recourir à un legs net de frais et de droits. Votre testament mentionne donc :
- un organisme de votre choix, désigné en tant que légataire ;
- que votre nièce devra recevoir la somme nette de 94 000 € (montant conservateur, vous l’avez compris)
Ainsi, votre maison est léguée à cet organisme pour une valeur de 200 000 €.
Il reverse 94 000 € à votre nièce et s’acquitte de l’imposition applicable, soit 47 318,15 € (94 000 – 7967) x 55 %.
De cette manière :
- votre nièce est gratifiée de 94 000 €, soit la même somme que celle initialement prévue ;
- l’organisme bénéficiaire reçoit 58 681,85 € ;
- le montant dû aux impôts est considérablement réduit, passant de 105 618,15 € à 47 318,15 €.
La somme perçue par votre nièce reste inchangée, mais vous avez pu soutenir une cause qui vous tient à cœur. La transmission de votre patrimoine est optimisée, minimisant la part imposable !
Vous l’avez compris, il est envisageable d’augmenter la charge (= montant reverser par l’association à votre héritier) dans des limites raisonnables.
L’intention libérale première qui vise à gratifier l’association ne doit pas être contestée et contestable. L’association doit être effectivement bénéficiaire d’un legs ! Elle n’est pas simplement un passe-plat qui permettrait de réduire les droits de mutation à titre gratuit.
Comment mettre en place une telle opération ?
Avant de vous lancer dans la rédaction de votre testament, il vous faudra identifier :
- le proche que vous souhaitez avantager ;
- l’organisme bénéficiaire du legs.
N’hésitez pas à parcourir notre article « Transmettre votre patrimoine à une association plutôt qu’à vos enfants qui n’en auront pas besoin » pour vous guider dans l’aventure de la philanthropie.
Dès lors, vous pouvez contacter votre notaire. Il vous assistera dans la rédaction de votre testament.
Deux options s’offrent à vous :
- Le testament olographe est rédigé par vos soins, sans l’aide d’un notaire. En pratique, il est recommandé de faire appel à son notaire pour y recourir. Il vous conseillera et vous aidera à préparer le contenu du testament en fonction de vos attentes. Vous devrez également veiller à respecter un certain formalisme, puisque le testament olographe doit être rédigé de votre main, daté et signé.
- Le testament authentique est rédigé par le notaire. Dans ce cas, vous dictez le contenu du testament au notaire, en présence de deux témoins ou d’un autre notaire. Le testament est conservé par l’office notarial et enregistré au fichier central des dispositions de dernières volontés.
Mon conseil : déposez votre testament olographe chez votre notaire ! Bien qu’il n’existe aucune obligation en la matière, vous avez tout intérêt à mettre vos dernières volontés en lieu sûr. Il sera ainsi enregistré au fichier central des dispositions de dernières volontés et pourra être retrouvé par n’importe quel notaire lors de votre décès.
Bien évidemment, votre testament devra mentionner expressément le legs net de frais et droits. Pensez à inclure :
- le nom de l’organisme bénéficiaire du legs ;
- la nature du legs ;
- l’identité complète de la personne que vous souhaitez faire bénéficiaire du legs particulier ;
- le montant du legs particulier.
A suivre.