Les relations familiales sont rarement un long fleuve tranquille. Les désaccords et les conflits sont fréquents, notamment entre parents et enfants. Certains différends peuvent même mener jusqu’à l’indignité successorale que nous abordons brièvement dans cet article. Mais sans forcément aller jusque là, il peut être légitime de se demander comment organiser sa succession lorsque l’on est fâché avec l’un de ses enfants.

L’anticipation est alors une étape importante pour assurer ensuite le respect de vos dernières volontés.

Voyons aujourd’hui, et dans une série d’articles que nous inaugurons aujourd’hui, quelles sont les contraintes à respecter et les actions à mettre en place si vous souhaitez avantager un ou plusieurs de vos enfants.

Pas de testament : Rappel des règles légales

Pour vous permettre d’organiser votre succession, il est indispensable de rappeler en premier lieu quelles sont les règles légales applicables si vous ne faites rien.

Voyons deux cas de figure : 

  • vous êtes célibataire, en concubinage ou pacsé ;
  • vous êtes marié.

Dévolution successorale en l’absence de conjoint survivant

Qu’est-ce qu’un conjoint survivant ? Il s’agit de l’époux ou l’épouse non divorcé (article 732 du Code civil).

Les règles suivantes s’appliquent donc aussi en cas d’existence d’un partenaire pacsé ou d’un concubin, qui n’est pas héritier légal.

Vos héritiers sont alors classés dans l’ordre suivant :

  • les enfants et leurs descendants ;
  • les parents ; 
  • les ascendants autres que les parents ;
  • les collatéraux (frères, sœurs et enfants de ces derniers, oncles, tantes, cousins, cousines).

Ce sont les héritiers les plus proches en degré de parenté qui héritent et qui excluent les autres.

En cas d’enfants, ce sont donc eux les seuls héritiers. Et en l’absence de dispositions spécifiques, vos enfants héritent naturellement de vos biens à parts égales.

En présence d’un conjoint survivant

Contrairement au partenaire pacsé ou au concubin, l’époux survivant est héritier légal. 

Toutefois, la répartition des parts d’héritage varie selon que le défunt laisse uniquement des enfants issus du couple ou non (article 757 du Code civil).

Enfants issus du couple

Si le défunt ne laisse que des enfants issus du couple, la loi offre au conjoint le choix entre :

  • l’usufruit de la totalité de la succession ;
  • la pleine propriété du 1/4 de la succession.

En cas d’option pour l’usufruit : les enfants se partagent la nue-propriété.

En cas d’option pour le 1/4 en pleine propriété : les enfants héritent de la pleine propriété des 3/4 de la succession (répartis entre eux à parts égales).

Enfants non communs

Si le défunt laisse aussi des enfants qui ne sont pas communs au couple, le conjoint hérite du 1/4 en pleine propriété.

De manière logique, les enfants se partagent alors les 3/4 restants.

Précisions sur la représentation successorale et sur l’indignité d’un héritier

Sachez que, si l’un de vos enfants est prédécédé, ses descendants prennent sa place dans votre succession et recueillent sa part d’héritage.

C’est la règle de la représentation successorale.

Prenons un exemple.

M. Y a eu 3 enfants : Michel, Sylvie et Jean. 

Michel est prédécédé laissant pour lui succéder un fils Joseph.

Lors du règlement de la succession de M. Y, l’héritage sera partagé en 3 parts égales entre Sylvie, Jean et Joseph (venant en représentation de son père prédécédé).

Ce mécanisme de la représentation s’applique également en cas de renonciation à la succession ou d’indignité successorale.

Qu’est-ce que l’indignité successorale ? (articles 726 et s. du Code civil)

C’est l’exclusion de la succession d’un héritier condamné pour les faits suivants :

  • meurtre ou tentative de meurtre sur le défunt ;
  • violences physiques ou psychologiques ayant entraîné la mort du défunt ;
  • tortures, actes de barbarie, violences volontaires, viol ou agression sexuelle sur le défunt ;
  • témoignage mensonger contre le défunt dans une procédure criminelle ;
  • non-assistance au défunt menacé d’un crime ou d’un délit contre son intégrité corporelle et ayant entraîné sa mort (alors que cette assistance pouvait se faire sans risque) ;

Précision faite qu’il est possible de maintenir les droits de l’un de ses héritiers par testament malgré une indignité déjà connue avant le décès (article 728 du Code civil).

Favoriser un enfant par une donation hors part successorale

Nous avons vu qu’en l’absence de dispositions spécifiques vos enfants sont héritiers à part égales.

Dès lors, réaliser une donation de votre vivant suffit-il pour avantager un enfant en particulier ?

Principe : donation rapportable à la succession (en avancement de part)

En cas de donation réalisée de votre vivant, les règles du rapport civil consistent à réintégrer fictivement la valeur de ces dons dans votre patrimoine au moment de votre décès. 

Bien entendu, les bénéficiaires de ces donations n’ont pas à rendre les biens reçus, mais leur valeur est ajoutée au pot commun qui sera redistribué ensuite à parts égales.

L’objectif de cette opération est de rétablir l’égalité entre les héritiers. Et les dons manuels n’échappent pas à cette règle ! (seuls les présents d’usage, considérés comme des cadeaux ne sont pas rapportables civilement – « Cadeaux de Noël : Quand les présents d’usage deviennent-ils des donations ?« ).

-> Attention, le rapport civil ne doit pas être confondu avec le rapport fiscal

Illustrons le mécanisme du rapport civil d’un exemple.

Vous avez fait de votre vivant des donations rapportables à chacun de vos 3 enfants :

  • 1er enfant : 10 000 €
  • 2e enfant : 20 000 €
  • 3e enfant : 30 000 €

Le total des donations est donc de 60 000 €.

Vous décédez en laissant un patrimoine de 600 000 €.

Le rapport civil de ces donations à votre patrimoine permet d’augmenter la valeur de celui-ci de 60 000 €, ce qui porte son total à 660 000 €.

Le partage de ce patrimoine fictif de 660 000 € entre vos 3 enfants donne à chacun une part théorique de 220 000 €.

Il convient ensuite de déduire de la part de chacun la valeur reçue de votre vivant.

  • 1er enfant : 220 000 € – 10 000 € = 210 000 €
  • 2e enfant : 220 000 € – 20 000 € = 200 000 €
  • 3e enfant : 220 000 € – 30 000 € = 190 000 €.

Dès lors, comment éviter ce mécanisme du rapport civil si vous souhaitez avantager l’un de vos enfants en particulier ? En réalisant une donation hors part successorale.

Exception : donation non rapportable (hors part successorale)

Si vous ne souhaitez pas que la donation réalisée soit rapportée à votre succession, elle doit être faite expressément hors part successorale.

Seules trois situations permettent d’éviter automatiquement le rapport successoral : 

Dans tous les autres cas (donation simple ou don manuel), vous devez exprimer clairement votre souhait de réaliser une donation non rapportable.

L’article 919 alinéa 2 précise à ce sujet : “La déclaration que la donation est hors part successorale pourra être faite, soit par l’acte qui contiendra la disposition, soit postérieurement, dans la forme des dispositions entre vifs ou testamentaires.”

Il conviendra donc impérativement de le préciser  : 

  • dans l’acte authentique contenant donation ;
  • ou postérieurement dans un testament, ou réintégré à une donation-partage.

Reprenons l’exemple précédent.

Vous avez fait de votre vivant des donations non rapportables à chacun de vos 3 enfants :

  • 1er enfant : 10 000 €
  • 2e enfant : 20 000 €
  • 3e enfant : 30 000 €

Vous décédez en laissant un patrimoine de 600 000 €.

Le partage de ce patrimoine de 600 000 € entre vos 3 enfants donne à chacun une part de 200 000 €.

Vos enfants auront donc reçu in fine

  • 1er enfant : 200 000 € + 10 000 € = 210 000 €
  • 2e enfant : 200 000 € + 20 000 € = 220 000 €
  • 3e enfant : 220 000 € + 30 000 € = 230 000 €.

Cependant, il convient de garder en tête le fait que, même non rapportables, les donations réalisées hors part ne doivent pas porter atteinte à la réserve héréditaire, sous peine d’être réduites au moment du règlement de la succession.

Attention à l’action en réduction en cas d’atteinte à la réserve héréditaire

La réserve héréditaire est une part de succession réservée à certains héritiers (les enfants notamment).

La quotité disponible quant à elle est la part de succession dont vous pouvez disposer librement (articles 912 et s. du Code civil).

Cette dernière dépend du nombre d’enfants que vous avez : 

  • en présence d’un enfant, vous pouvez disposer librement de la moitié de votre patrimoine successoral ;
  • en présence de 2 enfants, la quotité disponible est d’⅓ ;
  • en présence de 3 enfants et plus, vous pouvez disposer d’¼ de votre succession.

De votre vivant, ces proportions sont théoriques puisque vous ne pouvez pas connaître à l’avance la composition de votre patrimoine à votre décès.

L’article 919 alinéa 1 du Code civil précise que « La quotité disponible pourra être donnée en tout ou en partie soit par acte entre vifs, soit par testament, aux enfants ou autres successibles du donateur, sans être sujette au rapport par le donataire ou le légataire venant à la succession, pourvu qu’en ce qui touche les dons la disposition ait été faite expressément et hors part successorale.”​

En tout état de cause, la donation hors part successorale doit ainsi respecter la réserve des autres héritiers.

Dans le cas contraire, la réduction n’est pas automatique et doit être demandée par l’héritier concerné (cf. « Succession : Comment demander l’action en réduction des donations pour atteinte à la réserve héréditaire ?« ).

Ainsi conformément à l’article 921 du Code civil :

« La réduction des dispositions entre vifs ne pourra être demandée que par ceux au profit desquels la loi fait la réserve, par leurs héritiers ou ayants cause : les donataires, les légataires, ni les créanciers du défunt ne pourront demander cette réduction, ni en profiter.

Le délai de prescription de l’action en réduction est fixé à cinq ans à compter de l’ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l’atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès ».

Lorsque le notaire constate, lors du règlement de la succession, que les droits réservataires d’un héritier sont susceptibles d’être atteints par les libéralités effectuées par le défunt, il informe chaque héritier concerné et connu, individuellement et, le cas échéant, avant tout partage, de son droit de demander la réduction des libéralités qui excèdent la quotité disponible.”

Prenons des exemples chiffrés.

Exemple 1

Mme X a deux enfants : Bruno et Marie. Elle est fâchée avec son fils Bruno et souhaite avantager sa fille Marie.

De son vivant, elle gratifie sa fille d’une somme de 100.000 € donnée hors part successorale, et laisse à son décès un patrimoine de 200.000 €.

Le calcul pour vérifier s’il y a atteinte à la réserve est le suivant : 

Patrimoine total : 100.000 € donnés + 200.000 € au décès = 300.000 €

Quotité disponible en présence de 2 enfants = ⅓, soit 100.000 €

La donation ne porte pas atteinte à la réserve héréditaire, et les biens existants au décès pour une valeur de 200.000 € seront partagés à parts égales entre Bruno et Marie.

Exemple 2

M. Z a un seul enfant avec qui il n’a plus aucun contact. Il souhaite que son partenaire pacsé recueille sa succession.

De son vivant, il donne à son partenaire la somme de 200.000 €, et laisse à son décès un patrimoine de 100.000 €.

Le calcul pour vérifier s’il y a atteinte à la réserve est le suivant : 

Patrimoine total : 200.000 € donnés + 100.000 € au décès = 300.000 €

Quotité disponible en présence d’un enfant = 1/2 soit 150.000 €

La donation réalisée porte atteinte à la réserve, et est réductible à hauteur de 50.000 €. Le partenaire pacsé est donc redevable d’une indemnité de réduction de 50.000 €.

Favoriser un enfant par testament en léguant la quotité disponible

En plus de réaliser une donation hors part successorale, il peut être intéressant de prévoir un legs de la quotité disponible à l’enfant (ou aux enfants) que vous souhaitez avantager.

En effet, comme évoqué, vous ne pouvez pas connaître à l’avance la composition de votre patrimoine successoral.

Ainsi, léguer la quotité disponible permettra à l’enfant légataire de percevoir la plus grande part possible.

Désigner un exécuteur testamentaire

Enfin, dans le cas d’un conflit avec l’un de vos enfants, vous pouvez légitimement être inquiet de la mauvaise interprétation et exécution de vos volontés. 

Pour assurer la bonne exécution de votre testament, vous pouvez désigner librement de votre vivant un ou plusieurs exécuteurs testamentaires (articles 1025 et s. du Code civil).

Il peut s’agir : 

  • d’un héritier ;
  • d’un ami ;
  • d’un professionnel de confiance tel qu’un notaire ou un avocat ;
  • etc.

Cette désignation peut être faite dans votre testament ou par acte séparé (document écrit daté et signé).

C’est alors à vous de définir l’étendue des missions de l’exécuteur testamentaire. 

Il peut : 

  • simplement être chargé de veiller à la bonne exécution de votre testament ;
  • ou être amené à prendre des mesures conservatoires (faire procéder à l’inventaire de la succession, faire vendre des meubles pour régler les dettes urgentes, etc.).

Il peut également être chargé d’exécuter lui-même vos dernières volontés (recevoir et placer des capitaux, payer des dettes, procéder au partage entre héritiers et légataires, etc).

Sa mission est gratuite, mais les frais engagés pour l’exercice de sa mission (par exemple, les frais d’inventaire) sont à la charge de la succession.

En conclusion,

Récapitulons rapidement les 3 étapes utiles si vous souhaitez avantager un ou plusieurs de vos enfants : 

  • réaliser des donations de votre vivant hors part successorale (en gardant à l’esprit l’épée de Damoclès de l’action en réduction) ;
  • léguer par testament la quotité disponible à ces derniers ;
  • désigner un exécuteur testamentaire pour assurer la bonne exécution de vos dernières volontés.

Cependant, le sujet est vaste et mérite d’autres développements à venir prochainement :

  1. Nous étudierons en détail la question de l’assurance-vie, qui est traitée hors-succession et mérite donc un article à part entière dans le cas d’existence de conflits familiaux.
  2. La question de la protection du conjoint survivant dans ce cas de figure sera également abordée de manière approfondie pour vous aider à prendre les dispositions nécessaires, notamment sur le choix de votre régime matrimonial.

À suivre donc…

Et en attendant, pour aborder le sujet de l’assurance-vie, je vous recommande la lecture de l’article sur la question de savoir comment déshériter ses enfants en toute légalité ? Pour des conseils sur la protection du conjoint, lisez l’article sur la protection des parents contre un enfant indélicat.

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