Les rapports entre le droit des successions et le droit de l’assurance vie font couler beaucoup d’encre depuis de nombreuses années. Cependant, beaucoup se perdent encore dans la détermination des règles communes ou des règles propres à l’assurance ou à une succession. Ils se préparent ainsi d’importantes désillusions patrimoniales ou perdent des avantages faute de connaissance.
Une illustration de ce phénomène rencontrée régulièrement au cabinet concerne les questions de la renonciation à une succession et la renonciation à la qualité de bénéficiaire en assurance vie.
La renonciation à une succession
Tout héritier désigné par la loi ou par testament peut renoncer à une succession. L’article 768 du Code civil permet en effet soit d’accepter une succession ou d’y renoncer. Un délai minium de quatre mois pour prendre une décision court à compter de l’ouverture de la succession. Au terme de ce délai, on peut en vertu de l’article 771 du Code civil vous demander de prendre une décision par voie d’huissier.
La renonciation est expresse. L’héritier universel ou à titre universel doit de plus déposer une déclaration de renonciation auprès du greffe du tribunal du lieu de décès du défunt, afin qu’elle soit opposable aux tiers.
L’héritier qui a refusé la succession est réputé n’avoir jamais été héritier. Sa part revient à ses représentants, à défaut à ses cohéritiers, et s’il est seul aux héritiers de rang subséquent.
Le principe est que la qualité d’héritier disparait rétroactivement.
Il est également possible pour un héritier de renoncer au profit d’un héritier ou d’un tiers déterminé. Il y a là une transmission de droits. La renonciation est réputée dans cette hypothèse valoir acceptation de la succession.
La renonciation à la qualité de bénéficiaire d’une assurance vie
L’assurance vie repose sur le principe d’une stipulation pour autrui, telle qu’elle est définie par l’article 1121 du Code civil.
Le bénéficiaire désigné en cas de décès de l’assuré a donc un droit à se voir verser le capital ou la rente exigible lors de sa disparition dès la souscription du contrat d’assurance. Renoncer à sa qualité de bénéficiaire du contrat d’assurance vie, c’est refuser d’exercer un droit déjà détenu.
Ce refus n’est soumis à aucun formalisme légal mais la pratique exige qu’il soit exprès. A noter qu’il est possible aux créanciers et aux héritiers de mettre en demeure le bénéficiaire de se prononcer sur son acceptation du bénéfice du contrat. Sans réponse, au bout de trois mois, le bénéficiaire est réputé avoir renoncé à cette qualité.
La personne préalablement désignée par le souscripteur ne peut jamais désigner la ou les personnes au profit desquelles elle entend renoncer à sa qualité de bénéficiaire du contrat d’assurance vie. En cas de refus de la qualité de bénéficiaire du contrat d’assurance vie, ce sont les bénéficiaires de rang subséquent ou les héritiers du souscripteur qui profiteront de l’assurance vie à défaut de bénéficiaire déterminé ou déterminable.
La question de la qualification juridique du refus de la qualité de bénéficiaire d’un contrat d’assurance reste posée. Ce refus dissimule-t-il une opération de transmission à titre gratuit ? Derrière cette question se cache, celle du régime fiscal de l’opération. Aujourd’hui, il est uniquement acquis que le refus de la qualité de bénéficiaire du contrat d’assurance vie par le conjoint alors que les enfants du couple sont bénéficiaires de rang subséquent, n’entrainera pas de droits de mutation à titre gratuit. Aucune position officielle n’existe en cas de bénéficiaires différents.
Les interactions éventuelles entre la renonciation à une succession et la renonciation à la qualité de bénéficiaire d’une assurance vie.
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Si un héritier renonce à une succession, quelle en est l’influence sur l’assurance vie dont il est bénéficiaire ?
La première réponse qui vient à l’esprit est aucune.
La renonciation à la succession est une renonciation à l’actif et au passif de cette dernière.
Or en vertu de l’article L132-12 du Code des assurances, l’assurance vie stipulée au profit d’un bénéficiaire déterminé ou déterminable est hors succession.
Refuser une succession n’entraîne donc pas ipso facto le refus de la qualité de bénéficiaire d’une assurance vie.
Il faut creuser davantage.
En effet, si le contrat est libellé au profit des héritiers de l’assuré, le renonçant est réputé n’avoir jamais eu cette qualité au jour du décès. Par conséquent, il ne peut prétendre à la qualité de bénéficiaire de l’assurance vie.
Si le bénéficiaire est désigné nominativement ou déterminable, il conservera sa qualité de bénéficiaire du contrat d’assurance vie.
La modification de l’article 754 du Code civil sur la représentation par la loi n°2006-728 du 23 juin 2006 a ouvert en ligne directe ou collatérale la possibilité de représenter les personnes ayant renoncé à la succession de l’assuré.
La pratique antérieure a très largement utilisé les clauses bénéficiaires standardisées du type :
« Les enfants de l’assuré, nés ou à naître vivants ou représentés ».
Face à une telle clause, à qui doit revenir le capital en cas de décès, à tous les enfants de l’assuré et aux enfants d’un enfant de l’assuré prédécédé, ou alors, le partage doit-il inclure les enfants d’un des enfants de l’assuré qui a renoncé à la succession ?
La seconde interprétation peut-elle prospérer devant un tribunal ?
La réponse est négative pour toutes les clauses bénéficiaires qui ne font pas référence à la représentation des renonçants. En effet, accepter de faire jouer dans ce cas la représentation des renonçants revient à laisser à un bénéficiaire héritier le droit de révoquer partiellement la clause bénéficiaire du contrat d’assurance vie. Or depuis longtemps, la Cour de Cassation considère que seul le souscripteur de l’assurance vie dispose d’un tel droit.
Face à cette interrogation, la grande majorité des compagnies a décidé de modifier leurs clauses standards et de ne prévoir la mise en jeu de la représentation qu’en cas de prédécès.
Mais dans la cadre d’une clause libre, existe-t-il un intérêt pour le souscripteur de tenir compte de la possibilité de représenter les renonçant ?
Cela peut être utile par exemple, en ligne directe pour toute personne qui veut préserver l’égalité entre les différentes lignes de la famille, même en cas de mésentente avec un enfant. Cela peut représenter un atout si on envisage une transmission intergénérationnelle avec l’accord de l’ascendant en ligne direct ou en ligne collatérale.
Les neveux et nièces de l’assuré exposés à des taux importants de droits de succession en sauront certainement grès à l’assuré.
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Si un héritier accepte la succession peut-il malgré tout renoncer à sa qualité de bénéficiaire du contrat d’assurance ?
Pour répondre à cette interrogation, prendre connaissance des termes de la clause bénéficiaire est primordial.
Si le bénéfice du contrat d’assurance vie est attribué aux héritiers, le renonçant ne peut pas refuser le contrat d’assurance vie. Une fois acceptée, la qualité d’héritier est irrévocable.
Il peut cependant envisager de céder à titre onéreux cette dernière.
Si la personne concernée est désignée par d’autres critères que sa qualité d’héritier, il aura le droit de refuser la qualité de bénéficiaire du contrat d’assurance.
S’il existe plusieurs bénéficiaires de même rang, la part du bénéficiaire renonçant viendra accroitre celle des autres.
S’il est seul, les bénéficiaires de second rang se verront attribuer sa part, ou celle-ci sera versée aux héritiers de l’assuré conformément à l’article L132-8 du Code des assurances.
Pour conclure, il faut enfin rappeler que la renonciation à la qualité de bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie ne permet pas de se prévaloir de la faculté de représentation prévue à l’article 754 du Code civil.
Que retenir ?
A l’inverse de ce que l’on entend ou de ce que l’on lit souvent, le droit des successions et le droit de l’assurance vie ne sont pas deux cadres juridiques qui comme deux parallèles ne se rejoindraient jamais. Prendre des décisions en la matière, c’est parler de succession légale ou volontaire mais aussi d’assurance vie.
L’important est de bien cerner les objectifs que l’on souhaite atteindre, et de tirer le meilleur parti de tous ces cadres juridiques pour optimiser la transmission patrimoniale, et de répondre aux besoins de sociétés qui ne cessent d’évoluer.
L’optimisation patrimoniale ne s’arrête pas après la déclinaison opérationnelle des stratégies déterminées. Elle doit être réfléchie en permanence et à tous les étapes de la vie d’un patrimoine.