Revenons à quelques fondamentaux pour comprendre et anticiper l’évolution des marchés.
Exercice périlleux, car ce travail repose sur un principe, celui de l’efficience des marchés qui, au jour le jour, est loin d’être une évidence. Acceptons toutefois l’idée que sur une approche moyen terme, cette efficience soit une réalité. Notre analyse aujourd’hui va s’efforcer de donner des éléments de valorisation théorique du CAC 40, afin de délivrer une lisibilité accrue aux comportements du marché.
Nous donnerons alors une conclusion et des éléments concrets de stratégie pour manœuvrer dans un marché qui, rappelons-le, est loin d’être facile à prévoir.
Un peu de technique, juste pour crédibiliser notre approche.
Notre modèle de valorisation, que nous utilisons depuis plus de 10 ans et qui donne des résultats satisfaisants, (dans n’importe quelle configuration de marché) est un modèle d’actualisation des dividendes. Du nom de son créateur, Bates, il correspond à la situation de l’investisseur puisque cela consiste à déterminer, à partir de critères simples (la croissance attendue des résultats sur un horizon de temps, ici 3 ans, le montant du dividende et le taux d’actualisation composé d’un taux sans risque et d’une prime de risque de marché), à quel prix un actif peut être acheté théoriquement aujourd’hui en espérant le revendre à l’issue de l’horizon de temps, à un prix fixé par un multiple de résultat appliqué à la dernière année.
Le seul critère qui n’est pas une donnée objective est le multiple de sortie, qui est l’inconnue de tous les systèmes de valorisation puisque c’est la valeur terminale.
Voici pour la théorie, passons à la pratique.
Les tensions relatives à la situation financière se matérialisent par l’élévation de la prime de risque du marché des actions. Dans une situation normative, celle-ci évolue entre 2 et 4%. Aujourd’hui, elle se situerait au-delà de 7%.
Pour faire preuve d’un certain pessimisme, mais dans l’objectif de garder une approche très prudente, nous utiliserons le taux le plus haut connu début 2009, de 9,5%. Ainsi, le taux d’actualisation, qui est le taux exigé par l’investisseur (taux sans risque + prime de risque) pour entrer dans le marché des actions se situerait alors à 12,39%, avec une OAT (taux sans risque) à 2,89%. Soyons clair, ce taux est assurément un taux de récession, ce qui n’est pas la situation actuelle.
La croissance bénéficiaire des entreprises du CAC 40 ressort, d’après le consensus des analystes, à +10% par an entre 2010 et 2013. Ceci projette à horizon 2013 une masse de bénéfices de 111,4 Md€. Sur les six premiers mois de l’année 2011, la hausse est de +10% à 46,2 Md€.
Nous avons maintenu un taux de distribution de dividendes de 33%, ceci reste la norme.
Enfin, le prix de sortie dans 3 ans a été fixé à 11 fois les bénéfices, ce qui est assez prudent, car en dessous des PER historiques (plutôt autour de 13 !).
Sur ces bases de calcul, le tableau qui suit donne la valorisation théorique du CAC à l’instant t, celle-ci se situerait à 3716 points, soit un upside potentiel de +15,4%.
Dans une hypothèse encore plus difficile, sorte de « worst case scénario », nous ne modifions qu’une hypothèse, celle de la croissance bénéficiaire et nous la mettons sur les trois prochaines années à zéro, ce qui signifie des résultats négatifs à venir puisque nous avons un acquis de croissance sur le S1 2011. L’objectif de cours se situerait alors à 2816 points, une baisse potentielle de 12,5%.
Nous nous situons en quelque sorte au milieu du gué avec des probabilités de gains et de pertes à peu près équivalentes.
Cette analyse est instructive et elle est faite avec des hypothèses assez contraignantes en matière de taux d’intérêt attendu et de prix de sortie à horizon 3 ans. Une autre conclusion de cette approche est que le marché intègre déjà un scénario dégradé. Toute nouvelle un peu plus favorable peut amener à des reprises assez significatives et c’est ce qui s’est passé au cours des derniers jours. On a pu constater que les mauvaises nouvelles macroéconomiques étaient aussi assez vite digérées, cf la réaction positive du marché suite à des chiffres de confiance du consommateur US très mauvais.
En conclusion,
Il existe bien, du point de vue de la valorisation, un iatus entre la valorisation donnée par le marché et sa valorisation théorique. Quelques récents développements, le retour des fusions acquisitions avec des primes importantes (cela rappelle la fin des années 80!), le rachat d’actions (cas de Bouygues hier qui souhaite racheter 10% de ses actions avec une prime de 30%), vont dans le sens d’une sous valorisation manifeste du marché.
Pourquoi alors rester prudent ?
Les craintes sur les dettes souveraines restent vives et surtout l’incapacité des politiques à les résoudre. L’actualité du mois de septembre va être forte et d’après les fuites distillées, le cas de la Grèce devrait refaire surface. De même, le récent discours de Lagarde, sur la nécessaire recapitalisation du secteur bancaire européen a de quoi réserver quelques surprises.
Plus important, sans aller dans un scénario à 0% de croissance bénéficiaire au cours des 3 prochaines années, nous restons persuadés que les révisions vont arriver très prochainement. Les indices de différents PMI manufacturiers européens publiés ce matin ressortent pratiquement tous en dessous de 50 et en dessous des attentes du consensus. On rappellera que le seuil de 50 marque la différence entre croissance et récession. Le marché pourrait alors sanctionner et exagérer cette baisse. L’objectif des 2800 points devrait alors être atteint. Il nous semble que ceci devrait constituer un support extrêmement fort du marché. Mais dans l’hypothèse où les révisions restent marginales, (c’est le cas pour l’instant), la force de rappel peut être très importante. Au niveau des choix sectoriels, dans ce contexte incertain, il est préférable de rester dans des secteurs défensifs. En termes de stock picking, on constate aussi que ce sont les valeurs industrielles qui souffrent le plus (Lagardere, Eiffage, …), en revanche des nouvelles rassurantes sont venues du côté du pétrole et du parapétrolier, avec notamment Bourbon.
Interessante retour aux bases. Mais ce modele aurait il fonctionné en dans les années post 1929 pour prevoir la rechute qui a suivi le rebond ? Et les PER dans les années 70/ 80 ne tournaient ils pas plutot autour de 8 ? De meme ne peut on pas considerer que certains outils de production non utilisés deviennent en situation de recession un cout important et non simplement un manque a gagner en lieu et place d’une habituelle source de profits ?
Bonjour Pierre,
Merci tout d’abord pour vos commentaires. Je crois qu’en 1929, cette méthodologie n’existait pas encore et je ne sais pas s’il existait des consensus de prévisions,donc il est difficile de répondre concretement à la question, mais j’en comprends évidemment la portée. Votre réflexion est exacte et je ne dis pas autre chose dans le texte. Si nous entrons effectivement en récession, il y aura des révisions importantes de résultat et les PER vont effectivement baisser, 8 correspond généralement au point bas. On est proche de ce ratio puisque sur 2011, je crois que l’on se situe à 9. Ce que je signale simplement est que pour l’instant, on assiste bien à un ralentissement macro, mais qui n’est pas encore vraiment une récession. Et, plus important, les résultats des entreprises se tiennent, donc -et je ne suis pas structurellement positif, loin de là- si la situation ne se dégrade pas, on devrait asssiter à une reprise qui pourrait être importante. Evidemment, si on a un couple récession et crise des dettes souveraines, cela risque de faire très mal, ….. . Pour l’instant, ce n’est pas le scénario objectif, cela reste du domaine du pari, et la bourse n’est pas un casino, …. (pas encore!). Bon week end.