À la suite de notre précédent article (cf. « Fâché avec un enfant : Comment organiser votre succession ?« ) sur l’organisation de votre succession si vous êtes fâché avec un enfant, nous continuons la série avec la problématique de la protection de votre conjoint. Et plus spécifiquement, la question du choix du régime matrimonial lorsque vous êtes fâché avec un enfant commun aux deux époux.
Plusieurs questions doivent guider votre choix :
- Souhaitez-vous uniquement protéger votre conjoint (sans léser votre enfant) ou l’avantager significativement (quitte à pénaliser votre enfant) ?
- Exercez-vous une activité professionnelle risquée pour votre patrimoine personnel (cas dans lequel certaines options ne sont pas envisageables) ?
Faisons le tour des différentes mesures à prendre en fonction de vos souhaits et objectifs.
Rappel des droits légaux du conjoint sur le logement
Il est important de préciser en premier lieu que la loi protège le conjoint survivant sur le point particulier du logement de la famille.
Il existe ainsi deux régimes protecteurs.
Le droit temporaire au logement
Il s’agit là du droit d’habiter gratuitement pendant 1 an dans le logement à la seule condition que ce logement soit occupé à titre d’habitation principale par le conjoint survivant à l’époque du décès (article 763 du Code civil).
Ce droit s’applique de manière automatique.
Deux types de situation peuvent se présenter :
- 1/ Le logement appartient aux époux ou en totalité au défunt : le conjoint bénéficie de la jouissance gratuite pendant un an.
- 2/ Les époux étaient locataires : les loyers seront alors remboursés par la succession pendant un an.
Précision faite que ce droit temporaire au logement s’applique également aux personnes pacsées.
Le droit viager au logement
C’est l’article 764 alinéa 1 du Code civil qui prévoit :
« Sauf volonté contraire du défunt exprimée dans les conditions de l’article 971, le conjoint successible qui occupait effectivement, à l’époque du décès, à titre d’habitation principale, un logement appartenant aux époux ou dépendant totalement de la succession, a sur ce logement, jusqu’à son décès, un droit d’habitation et un droit d’usage sur le mobilier, compris dans la succession, le garnissant. […] »
Pour bénéficier de ce droit, votre conjoint devra en faire la demande dans l’année du décès.
Il pourra alors être dressé un inventaire des meubles et un état de l’immeuble pour éviter les contestations ultérieures.
Attention toutefois : ce droit viager n’augmente pas les droits successoraux de votre conjoint, puisqu’il est déduit de ses droits dans la succession.
Par exemple : si votre conjoint a droit à 1/4 en pleine propriété (parce que vous avez des enfants non communs et que vous n’avez pas fait de donation entre époux), son droit d’usage viager sera évalué et viendra en déduction de sa part (art. 765 Code civil).
Cette protection minimale (mais utile dans certains cas) évoquée, voyons les différentes options qui s’offrent à vous en fonction de vos souhaits.
Cas numéro 1 : Enfant commun et protection du conjoint sans léser votre enfant
Même fâché avec votre enfant, vous ne souhaitez pas forcément réduire ses droits ou le déshériter.
Votre objectif dans cette situation sera plutôt de permettre à votre conjoint d’avoir la jouissance complète et paisible du patrimoine :
- sans avoir à demander des comptes à votre enfant ;
- tout en assurant à ce dernier de recueillir sa part au décès de votre conjoint.
Le code civil apparaît ici comme suffisamment protecteur pour le conjoint. Le conjoint survivant, en qualité d’usufruitier du patrimoine aura un niveau de protection que l’on doit pouvoir qualifier de suffisant dans une majorité de situations.
On peut tout à fait être faché, mais savoir que l’enfant respectera son parent survivant. Tous les enfants, même ceux avec lesquels les liens sont distendus, ne vont pas chercher systématiquement à nuir au conjoint survivant.
Dans cette situation, on va le voir, une simple donation entre époux sera probablement suffisante. Il pourra éventuellement être ajouté une clause de préciput sur la résidence principale pour permettre au conjoint survivant de disposer un patrimoine en pleine propriété (cf. « Succession : La clause de préciput pour protéger votre conjoint en cas de décès« ).
Deux situations doivent alors être distinguées :
- Vous exercez une profession qui n’exige pas de protection particulière pour votre patrimoine ;
- ou vous exercez une activité qui nécessite de protéger votre patrimoine personnel vis-à-vis de vos créanciers professionnels.
Vous êtes à la retraite ou exercez tous deux une profession salariée
Dans ce cas, vous n’êtes pas exposé aux risques patrimoniaux et le choix de votre régime matrimonial n’aura pas d’incidence sur ce point.
Et pour une protection optimale de votre conjoint, le régime de la communauté légale (réduite aux acquêts) peut être suffisant. Pas besoin de faire un contrat de mariage, ce qui évite les frais liés à cet acte.
Comme explicité en préambule, une clause de préciput pourra être envisager pour permettre au conjoint de rester plein propriétaire de la résidence principale (ou de n’importe quel actif d’ailleurs) au décès du premier conjoint (cf. « Succession : La clause de préciput pour protéger votre conjoint en cas de décès« ).
Quelles sont les règles de la communauté légale ?
En l’absence de contrat de mariage, votre patrimoine est composé de :
- biens propres (qui restent personnels et n’appartiennent qu’à vous) = ceux que vous possédiez avant le mariage ou que vous recevez par donation pendant le mariage (exemple : l’appartement à la montagne donné par vos parents) ;
- biens communs (qui vous appartiennent à concurrence de moitié chacun) = tous ceux acquis pendant le mariage (exemple : un compte bancaire même au nom d’un seul époux). Notez que les revenus des biens propres sont considérés comme des biens communs.
Au moment de la succession du premier défunt (or éventuelle clause de préciput), tous les biens communs sont partagés à concurrence de moitié/moitié.
Exemple :
Votre patrimoine commun s’élève à 600 000 euros, votre conjoint récupère 300 000 euros au titre de sa part de communauté. Puis, il exerce ses droits successoraux sur votre part de 300 000 €.
Ainsi, dans l’optique de protéger votre conjoint pour lui assurer simplement la jouissance paisible du patrimoine de son vivant, il n’est pas nécessaire de prévoir plus sur le plan du régime matrimonial.
Pour aller plus loin : Faut-il changer de régime matrimonial pour mieux protéger son conjoint ?
Faut-il prévoir une donation au dernier vivant ?
La donation entre époux est un acte simple et peu onéreux. Il serait donc dommage de s’en priver ! Elle permet à votre conjoint d’avoir plus d’options au moment de votre décès.
Cependant, en l’absence de dispositions spécifiques, votre conjoint, avec lequel vous n’avez que des enfants communs, pourra opter pour
- le quart de votre succession ;
- ou l’usufruit (article 757 du Code civil).
Dans l’idée de pouvoir bénéficier de la jouissance de tout le patrimoine, l’option légale en usufruit sera alors suffisante.
Dans l’exemple cité plus haut, votre conjoint aurait donc :
- sa part de communauté pour 300 000 € ;
- l’usufruit (donc le droit de jouissance des biens) sur votre part de communauté de 300 000 €.
L’intérêt principal de la donation entre époux, au delà du choix plus large pour le conjoint, c’est l’option pour le cantonnement comme nous vous l’avons détaillé dans cet article « Renoncer ou accepter partiellement une succession est possible grâce à la « donation entre époux »
Vous (ou votre conjoint) exercez une profession indépendante
Si vous exercez une activité indépendante, vous le savez sans doute, il est important de protéger votre patrimoine personnel vis-à-vis de vos créanciers professionnels.
Dans ce cas, c’est la sécurisation de votre patrimoine qui doit primer, et le régime matrimonial de la séparation de biens doit être privilégié.
Qu’est-ce que le régime de la séparation de biens ?
Comme son nom l’indique, rien n’est mis en commun dans ce régime matrimonial.
Chaque époux est seul propriétaire des biens composant son patrimoine. Lorsque des biens sont achetés en commun (maison du couple par exemple), c’est le régime de l’indivision qui s’applique.
À la fin du régime de séparation, chacun repart avec son propre patrimoine.
La clause de préciput ne pourra pas être envisagée en l’état dans un régime de séparation. La clause de préciput ne peut être mise en oeuvre uniquement sur des biens communs. Il faudrait alors envisager un régime de séparation de bien avec société d’acquet. La résidencce principale, située dans la société d’acquet, pourra alors faire l’objet de la clause de préciput.
Si tous les biens ont été acquis en indivision à concurrence de moitié chacun, le résultat sera sensiblement le même qu’avec la communauté.
Cependant, la situation diffère si l’un des époux détient un patrimoine plus important.
Exemple :
Votre patrimoine personnel s’élève à 400 000 €, alors que celui de votre conjoint s’élève à 200 000 €.
Bien entendu, ce dernier conserve son patrimoine personnel. Mais il n’a droit qu’à l’usufruit sur vos biens (400 000 €).
Dans la seule optique d’assurer une jouissance paisible de votre patrimoine à votre conjoint, cette option peut suffire.
Faut-il prévoir une donation au dernier vivant ?
La donation entre époux pourra cependant être particulièrement intéressante ici, pour permettre à votre conjoint d’augmenter sa part sur votre patrimoine personnel.
En effet, les options qu’offre la donation au dernier vivant sont les suivantes :
- la totalité de votre succession en usufruit (inutile ici puisque la loi offre déjà cette possibilité) ;
- un quart de votre succession en pleine propriété, et les 3/4 restant en usufruit (très pertinent ici pour augmenter les droits sur la succession) ;
- la quotité disponible en pleine propriété (inutile ici car ne permet pas la jouissance de tout le patrimoine).
Ainsi, pour reprendre l’exemple chiffré (vous laissez un patrimoine personnel de 400 000 €) :
En bénéficiant de l’option ¼ en pleine propriété et ¾ en usufruit, votre conjoint aura droit à une part de 100 000 € + l’usufruit sur les 300 000 € restants.
La réponse est donc : oui, prévoyez une donation au dernier vivant dans ce cas pour laisser le choix à votre conjoint !
Cas numéro 2 : Enfant commun et souhait d’avantager significativement votre conjoint quitte à pénaliser votre enfant
Votre objectif dans cette situation sera de permettre à votre conjoint d’obtenir la part la plus conséquente possible sur votre patrimoine, et de réduire au maximum la part reçue par votre enfant commun.
Vous n’avez pas confiance dans votre enfant. Vous craigniez qu’il cherche à nuir au conjoint survivant lors du règlement de la succession du premier défunt. Vous cherchez donc une solution pour maximiser la protection des époux au risque d’une succession qui serait plus taxée lors que votre enfant héritera.
Distinguons comme précédemment en fonction de votre situation professionnelle.
Vous êtes à la retraite ou exercez tous deux une profession salariée
En l’absence de nécessité de protéger le patrimoine des créanciers, l’adoption d’un régime de communauté universelle avec clause d’attribution intégrale au dernier vivant peut être envisagée.
Qu’est-ce que le régime de la communauté universelle ?
Le principe de ce régime est simple (article 1526 du Code civil) : tous les biens sont mis en commun (sauf exception, comme les vêtements ou les bijoux qui sont des biens propres par nature).
À la différence de la communauté légale, même les biens reçus par donation ou possédés antérieurement sont mis dans le pot commun.
Dans certaines situations, en pratique le résultat peut être le même qu’avec la communauté légale. C’est le cas si vous ne possédez aucun bien propre.
Ce qui change en revanche, c’est la clause d’attribution intégrale au dernier vivant habituellement proposée dans le cadre de la communauté universelle.
Qu’est-ce que la clause d’attribution intégrale au dernier vivant ?
C’est une disposition qui doit être précisée expressément dans le contrat de mariage et qui implique que le conjoint survivant récupère l’intégralité du patrimoine.
Précision faite que cette clause peut aussi être prévue dans un régime de communauté légale.
Dans ce cas, la succession n’est même pas ouverte au premier décès. Votre conjoint se retrouve automatiquement plein propriétaire de l’ensemble du patrimoine commun.
Exemple :
Vous êtes mariés sous le régime de la communauté universelle avec clause d’attribution intégrale. Votre patrimoine est composé exclusivement de biens communs à hauteur de 600 000 €.
Au décès du premier époux, le conjoint survivant est seul propriétaire des 600 000 €, et les enfants ne perçoivent rien à ce moment-là.
Vous entrevoyez avec cet exemple l’inconvénient principal de ce dispositif…
Pour les enfants, le patrimoine sera transmis en une seule fois au décès du dernier parent. Fiscalement, cette situation est très pénalisante pour eux.
Si, malgré vos désaccords avec vos enfants, vous ne souhaitez pas les pénaliser autant sur le plan fiscal, vous pourrez privilégier la communauté (légale ou universelle au choix) assortie d’une donation entre époux.
Vous (ou votre conjoint) exercez une profession indépendante
Si vous êtes encore en activité et que votre profession nécessite de protéger votre patrimoine personnel, il peut être utile d’adopter le régime moins répandu de la participation aux acquêts.
Qu’est-ce que la participation aux acquêts ?
Le régime de la participation aux acquêts est un savant mélange entre la séparation de biens et la communauté (articles 1569 et s. du Code civil).
Pendant le mariage, tout se passe comme si les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens. Le patrimoine du conjoint est ainsi protégé des créanciers.
À la dissolution du régime, une créance de participation est calculée pour rétablir l’équilibre entre les patrimoines respectifs des époux, comme s’ils avaient été mariés sous le régime de la communauté.
Prenons un exemple simple pour schématiser l’idée.
Sur un patrimoine total commun de 600 000 € :
- en communauté, chaque époux a droit à une part de 300 000 €.
- en séparation chacun repart avec ses biens, quelle que soit la répartition.
Si au décès, un époux possède 400 000 € et l’autre 200 000 €, il n’y a pas de rétablissement de l’équilibre entre les 2.
- avec la participation aux acquêts, l’époux qui possède 400 000 € devra une créance de participation à son conjoint d’un montant de 100 000 €, de sorte qu’en valeur chaque époux recevra 300 000 €.
Attention, la grande différence avec la communauté réside dans le fait qu’il s’agit d’une créance, et non de droit de propriété sur les biens du défunt.
Cependant, l’adoption de ce régime peut permettre de poursuivre le double objectif de :
- protéger son patrimoine des créanciers ;
- avantager son conjoint par rapport au régime de la séparation.
Faut-il prévoir une donation au dernier vivant ?
Bien entendu, dans le but de favoriser votre conjoint, vous devrez impérativement prévoir une donation entre époux.
Votre conjoint pourra ainsi opter pour une part plus importante sur votre succession : un quart en pleine propriété, et les 3/4 restant en usufruit.
Vous pourriez même envisager la rédaction d’une donation entre époux universelle pour faire de votre conjoint votre unique héritier. Une donation universelle entre époux, réductible sur demande qui pourrait être accompagnée d’une renonciation anticipée à l’action en réduction (RAAR) pour sécuriser l’opération (cf. « La donation entre époux universelle plus efficace que la communauté universelle pour protéger le conjoint ? » ou encore « Succession : Ne pas respecter réserve héréditaire et quotité disponible avec le pacte de famille« ).
Pour résumer :
1/ Prévoyez systématiquement une donation au dernier vivant, c’est simple et efficace.
2/ Choisissez toujours votre régime matrimonial en considération de votre activité professionnelle :
- séparation de biens ou participation aux acquêts si vous êtes indépendant ;
- communauté légale ou universelle, avec ou sans attribution intégrale si votre activité professionnelle vous le permet.
À suivre la semaine prochaine…
Nous reprendrons ces développements en étudiant le cas plus complexe où vous êtes fâché avec un enfant issu d’une précédente union.
Nous aborderons notamment les difficultés supplémentaires pour adopter un régime de communauté universelle dans ce cas, et les options à envisager pour protéger au mieux votre conjoint.