La vie de famille n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Les divorces, remariage, famille recomposée, décomposée et autres évènements familiaux ont parfois pour conséquence la fragilisation de lien filial et la nécessité pour les époux de se protéger contre un enfant indélicat.
Se protéger, c’est organiser son patrimoine pour que le conjoint puisse conserver son cadre de vie et son train de vie au décès du premier des époux.
Se protéger, c’est faire en sorte que le conjoint survivant n’ait pas à subir la pression d’un enfant indélicat au décès de la figure paternelle ou maternelle.
Se protéger, c’est s’assurer le pouvoir sur son patrimoine, c’est ne pas avoir de compte à rendre aux enfants.
Ces sujets ne sont pas toujours simples à aborder. Ils sont néanmoins le reflet d’une histoire familiale qu’il ne faut pas nier.
Le code civil offre de nombreuses solutions pour permettre aux époux de se protéger mutuellement. Il y a bien évidemment l’assurance vie, pour le dénouement hors succession qui permet de déroger aux règles civiles de la succession (cf »Pourquoi l’assurance-vie n’est pas toujours « hors succession » ?« ), mais il y a surtout une utilisation astucieuse de votre contrat de mariage.
Ce sont là des réflexions et stratégies fondamentales que nous traitons de manière exhaustive dans nos livres « Succession » et « Assurance vie et gestion de patrimoine ».
Bien évidemment, et notamment dans les familles non recomposées, c’est-à-dire lorsqu’il n’ y a pas d’enfant né de lits différents, la solution la plus efficace pour se protéger sera de changer de régime matrimonial. Changer de régime matrimonial, c’est modifier son contrat de mariage et les règles qui organise la propriété du patrimoine des époux.
Il est très courant pour les époux qui veulent se protéger contre un enfant (ou le plus souvent gendre ou une belle fille) indélicat d’adopter le contrat de la communauté universelle avec clause d’attribution intégrale de la communauté au conjoint survivant (cf »La communauté universelle : Le contrat de mariage pour maximiser la protection du conjoint »), d’autres se contenteront d’insérer une clause de préciput sur la résidence principale ou autres biens qu’ils voudront voir impérativement transmis au conjoint (cf »La clause de préciput pour un contrat de mariage sur-mesure »).
Deux solutions d’une efficacité redoutable pour se protéger contre un enfant. Il s’agit simplement de minorer (ou même supprimer pour la communauté universelle) la succession au décès du premier époux et la repousser au décès du second : Ce n’est qu’au décès du second des époux que les enfants hériteront de ce qu’il reste. Changer de régime matrimonial représente un coût variable selon les régimes et les clauses adoptées (cf »Comment changer de régime matrimonial ? Quel coût pour passer en communauté universelle ?« ), notez que l’insertion d’une clause de préciput ne représente pas un coût très élevé.
Le changement de régime matrimonial et l’adoption d’un régime de communauté universelle ou même l’insertion d’une clause de préciput ne sera pas une solution satisfaisante dans les familles recomposées en présence d’enfants qui ne seraient pas nés de l’union. En effet, l’article 1527 du civil limite les effets du changement de régime matrimonial dans ces situations : C’est l’action en retranchement :
« Les avantages que l’un ou l’autre des époux peut retirer des clauses d’une communauté conventionnelle, ainsi que ceux qui peuvent résulter de la confusion du mobilier ou des dettes, ne sont point regardés comme des donations.
Néanmoins, au cas où il y aurait des enfants qui ne seraient pas issus des deux époux, toute convention qui aurait pour conséquence de donner à l’un des époux au-delà de la portion réglée par l’article 1094-1, au titre » Des donations entre vifs et des testaments « , sera sans effet pour tout l’excédent »
Bref, en deux mots, il n’est pas possible de déshériter un enfant d’un premier lit avec l’adoption d’un régime matrimonial. Il faut donc trouver d’autres solutions pour se protéger d’un enfant indélicat dans une famille recomposée.
Voici donc d’autres pistes qui pourront être des solutions à suivre dans une famille recomposée ou non.
- Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’assurance-vie et le dénouement hors succession est une manière très efficace pour protéger le conjoint. Mais attention, pour les époux mariés sous le régime de la communauté, seule l’assurance vie souscrite par le défunt est hors succession ; L’assurance vie souscrite par le conjoint survivant du défunt est un actif de succession pour moitié et devra être partagé avec les enfants en application de la réponse ministérielle CIOT (cf »Assurance vie : Faut il les déclarer au notaire lors d’une succession ? »).
- Pour les époux mariés sous un régime de séparation de bien, il est relativement facile d’organiser un transfert de patrimoine entre les époux au gré des acquisitions immobilières ou d’une épargne qui ne respecterait pas l’origine des deniers. Il parait aisé d’organiser la constitution du patrimoine d’un époux à protéger malgré un plus faible niveau de ressources. Il suffit par exemple, de souscrire les crédits immobiliers d’investissement au nom du conjoint aux faibles revenus pour lui permettre de se constituer un patrimoine. Au gré de la vie maritale, et dans les limites raisonnables, on comprend la facilité à transférer un patrimoine qui pourra prendre la justification de donation rémunératoire ou de contribution aux charges du mariage :
« Le paiement des dépenses afférentes à l’acquisition et à l’aménagement de ce bien participait de l’exécution par le mari de son obligation de contribuer aux charges du mariage » dès lors que « les juges du fond (…) ont constaté que, pendant toute la durée de la vie commune, le mari avait disposé de revenus confortables tandis que ceux de son épouse, qui avait travaillé de manière épisodique, avaient été beaucoup plus faibles et irréguliers, ont souverainement estimé que les paiements effectués par le mari l’avaient été en proportion de ses facultés contributives » (Cass. 1e civ., 15 mai 2013, n° 11-26.933, publié au bulletin).
ou encore « « les règlements relatifs à cette acquisition, opérés par le mari participaient de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage », en déduisant que l’ex-mari « ne pouvait réclamer, au moment de la liquidation de leur régime matrimonial, un partage inégalitaire du prix de vente de l’immeuble compensant sa participation plus importante au financement de ce bien » (Cass. 1e civ., 16 sept. 2014, n° 13-18.935, inédit).
La contribution aux charges du mariage, distincte, par son fondement et par son but, de l’obligation alimentaire, peut inclure des dépenses d’investissement ayant pour objet l’agrément et les loisirs du ménage » « l’activité stable de l’époux lui procurait des revenus très confortables lui permettant d’acquérir une résidence secondaire pour la famille ».« En exécutant cette obligation, le mari n’avait fait que payer sa dette » (Cass. 1e civ., 18 déc. 2013, n° 12-17.420, publié au bulletin).
De surcroît, au décès du premier des époux, les héritiers de ce dernier n’auront pas connaissance du patrimoine du conjoint ! Marié sous le régime de la séparation, le conjoint n’a pas à déclarer son patrimoine.
- Pour les époux mariés sous le régime de la communauté, ces transferts de patrimoine au profit d’un époux à protéger sont aussi relativement faciles à opérer. Il s’agit de s’organiser pour faire disparaître les biens propres en oubliant les récompenses. En principe, lorsqu’un époux vend un bien propre ou hérite de liquidité, ces sommes lui appartiennent en propres et la communauté qui a perçu ces sommes lui doit récompense. Dans les faits, il est simple (et parfois de manière non intentionnelle) d’oublier cette récompense (cf. « Comment calculer les récompenses entre biens communs et propres lors d’une succession ou divorce ?« ). Qui est capable d’assurer la traçabilité de son patrimoine pendant 30 ans de vie commune ? Qui se souviendra dans 30 ans que la vente du bien propre reçu par succession sera utilisé pour acheter une résidence secondaire au nom des deux époux ? Qui se souviendra que c’est la communauté qui a financé les lourds travaux de rénovation du bien propre de l’époux à protéger ? C’est là une vision peu académique, mais proche de la vraie vie.
- Pour les couples mariés sous le régime de la communauté, la co-souscription, dénouement premier décès, d’un contrat d’assurance-vie dont le bénéficiaire sera le conjoint survivant, permettra également assurer une pleine protection du conjoint survivant sans aucune possibilité de contestation de la part des enfants (cf. « Bien souscrire un contrat d’assurance vie en fonction de son contrat de mariage« ). Au décès du premier des époux, les capitaux épargnés dans le contrat d’assurance-vie seront transférés au conjoint désigné bénéficiaire, sans fiscalité et hors succession. Cette cosouscription dénouement premier décès permettra de contourner la réponse ministérielle CIOT ainsi que le risque de récompense (cf. « Assurance vie, Entre récompense et réponse ministérielle CIOT« ).
À suivre… Il y a toujours des solutions…