La récente actualité autour de la remise en cause de la réponse ministérielle BACQUET et la probable mise en oeuvre de la tolérance SAPIN nous donne l’occasion de revenir sur le rôle du notaire lors de la dévolution successorale et sur la stratégie qui doit être mise en oeuvre pour éviter une double imposition des capitaux investis en assurance vie.
PS : Nous sommes d’ailleurs, aujourd’hui 29 Janvier 2016, toujours dans l’attente de la modification officielle de la doctrine fiscale. Le ministre a annoncé le 12 Janvier dernier une révision de l’imposition et une probable remise en cause de la réponse ministérielle BACQUET, nous n’en avons, à ce jour aucune confirmation. (cf »Michel SAPIN confirme la remise en cause de la réponse minitérielle BACQUET)
Les compagnies d’assurance vie et le notaire n’ont pas toujours tiré les conséquences civiles du caractère commun du contrat d’assurance vie.
Dans les commentaires de la presse autour de la remise en cause de la réponse ministérielle BACQUET, on peut lire un peu tout et surtout n’importe quoi. Mais en deux mots, il en ressort que cette remise en cause est une bonne nouvelle car elle permettra d’éviter une double imposition des capitaux investis en assurance vie ! Cette synthèse est totalement erronée : La réponse ministérielle BACQUET n’a jamais eut pour conséquence une double imposition des contrats d’assurance vie ! (cf »Les conséquences fiscales et civiles sur l’assurance vie de la remise en cause de BACQUET« )
S’il y a eu parfois double imposition, c’est de la faute du notaire et de la compagnie d’assurance vie qui n’ont pas tiré les conséquences civiles de la réponse ministérielle PRORIOL.
L’assurance vie est un bien commun et la réponse ministérielle BACQUET n’a pas d’effet sur ce caractère civil.
Posons les choses pour comprendre les mécanismes en oeuvre.
Lorsque l’un des époux, mariés sous un régime de communauté ou sans contrat de mariage, souscrit nominativement un contrat d’assurance vie (même si les deux époux souscrivent chacun nominativement un contrat d’assurance vie de montant équivalent) et alimenté avec de l’argent commun, au décès du premier des époux, le contrat d’assurance vie souscrit pour le survivant des époux est un bien commun.
De manière assez logique, et le raisonnement est le même pour un PEL ou un livret A : Ce n’est pas parce que le PEL est ouvert par un seul des époux que l’argent qui y est épargnée appartient à l’époux souscripteur. Lorsque les époux sont mariés sous un régime de communauté, il convient de faire la distinction entre le titre et la finance : L’époux souscripteur du PEL est propriétaire de ce dernier mais l’argent qui y est épargnée appartient à la communauté, c’est à dire au deux époux par parts égales.
Le raisonnement est identique pour le contrat d’assurance vie : Si un époux marié sous un régime de communauté souscrit un contrat d’assurance vie avec de l’argent commun (épargne constituée par les salaires, revenus fonciers, épargne diverses hors donation ou succession ou biens possédés avant le mariage), la valeur de rachat du contrat fait partie de l’actif de communauté et le capital épargné appartient bien aux époux par parts égales. Ce qui se conçoit aisément en cas de divorce, doit se concevoir en cas de décès.
Ainsi, réponse ministérielle BACQUET ou pas, au décès d’un des époux, l’actif de succession sera composé de la moitié de l’actif de communauté et des biens propres du défunt, c’est à dire :
– La moitié de la valeur du PEL souscrit par le défunt ;
– La moitié de la valeur du PEL souscrit par l’époux survivant (le PEL est certes ouvert au nom du conjoint survivant, mais l’argent qui y est épargné appartient pour moitié au défunt et doit donc faire partie de la succession) ;
– La moitié de la valeur des livret A souscrits par le défunt et son époux(se) ;
– La moitié de la valeur du contrat d’assurance vie souscrit par le survivant des époux ;
– Bref, la moitié de la valeur de l’intégralité de l’épargne des époux (quel que soit le nom du souscripteur).
Seul le contrat d’assurance vie souscrit par le défunt ne fera pas partie de la succession pour moitié lorsque le bénéficiaire dudit contrat d’assurance vie est le conjoint (lorsque le contrat d’assurance vie souscrit par le défunt est au bénéfice d’une personne autre que le conjoint, il y a application d’une récompense au profit de la communauté – cf »Assurance vie et récompense au profit de la communauté : lorsque le décès fait naître une récompense …« ).
Au terme de la dévolution successorale, les enfants deviennent « propriétaires » de la moitié du contrat d’assurance vie souscrit par le conjoint survivant.
La dévolution successorale portera sur l’actif de succession ainsi déterminé. Au delà de l’aspect fiscale de la déclaration de succession, son caractère civil est fondamental et prioritaire : La dévolution successorale permet d’assurer la transmission de l’héritage du défunt à ses héritiers (et ce n’est pas simplement une procédure pour payer les droits de succession).
Ainsi, la dévolution successorale permettra de transmettre l’intégralité de l’actif de succession (biens communs, y compris la moitié du contrat d’assurance vie du conjoint survivant alimenté avec des fonds communs) aux héritiers (dans la grande majorité des situations et en l’absence de disposition testamentaire ou donation entre époux) :
– Le conjoint pour 100% en usufruit ou 1/4 en pleine propriété ;
– Les enfants pour 100% en nue propriété ou 3/4 en pleine propriété.
Cela signifie, qu’au terme de la dévolution successorale, les enfants deviennent « propriétaires » de la moitié de l’actif de communauté y compris de la moitié de l’épargne totale des époux et de la moitié du contrat d’assurance vie souscrit par le conjoint survivant. Ce droit de propriété peut s’exercer soit en pleine propriété (cas du 3/4 en pleine propriété partagé entre les enfants) ou en nue propriété.
Il est essentiel de comprendre qu’au terme de la dévolution successorale, les enfants sont propriétaires de la moitié de la valeur de rachat du contrat d’assurance vie du conjoint survivant, tout comme ils sont propriétaires de la moitié de l’épargne du couple (moitié du PEL du défunt, moitié du PEL du conjoint survivant ; moitié du livret A du défunt, moitié du livret A du survivant, …).
Mais le droit de propriété des enfants n’est jamais matérialisé par le notaire.
Malheureusement, ce droit de propriété des enfants sur le patrimoine financier n’est jamais enregistré et matérialisé par le notaire (ou que très rarement).
Les enfants par amour pour le parent survivant, lui laisse la pleine jouissance des capitaux et de l’épargne : Les enfants sont propriétaires d’une partie de l’épargne (au moins en nue propriété) mais dans les faits rien ne change et le conjoint survivant conserve la pleine jouissance du PEL, livret A, et même du contrat d’assurance vie.
La nécessaire rédaction d’une convention de quasi-usufruit.
S’il est tout à fait « normal » de laisser la jouissance des capitaux au conjoint survivant, il est anormal qu’au acte juridique ne le constate.
Lorsque les héritiers (conjoint et enfant) se retrouvent en démembrement de propriété avec l’usufruit pour le conjoint et la nue propriété pour les enfants, le fait de laisser la jouissance de l’épargne au conjoint survivant est la constitution d’un quasi-usufruit. L’article 587 du code civil détaille avec précision cette notion importante :« Si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution. ».
Comme nous vous l’expliquions dans cet article « Usufruit, Nue propriété, Quasi-usufruit : Définition, droits et obligations.« ,
Le quasi-usufruit autorise donc l’usufruitier à consommer la somme d’argent comme un plein propriétaire. Dans un premier temps, l’usufruitier pourra consommer la somme d’argent comme un propriétaire. Le droit du nu propriétaire sur cette somme d’argent se matérialisera à la fin de l’usufruit (décès de l’usufruitier, ou fin de l’usufruit temporaire). L‘usufruitier devra alors rendre la valeur de la chose démembrée au nu propriétaire. Il s’agit d’une créance de restitution.
De manière pragmatique, le nu propriétaire sera rétabli dans sa propriété par prélèvement de la créance de restitution sur la succession de l’usufruitier avant toute dévolution successorale.
Le quasi usufruit et le fait de laisser la jouissance de cette épargne détenue en nue propriété par les enfants au profit du conjoint survivant, c’est réalisé un quasi-usufruit. C’est totalement légal et pertinent. Néanmoins, pour éviter que ces capitaux laissés en jouissance au conjoint survivant ne soient taxés aux droits de succession à son décès, il est indispensable que le notaire une convention de quasi-usufruit.
Cet acte signé entre usufruitier et nu propriétaire permettra de matérialiser le droit de propriété des enfants (cf »Le quasi-usufruit, de la convention de quasi-usufruit à l’indexation de la créance de restitution.« .
A défaut d’un tel acte, les capitaux laissés en jouissance au conjoint survivant (moitié de la valeur de rachat de son contrat d’assurance vie et moitié des placements du couple avant le décès) pourraient bien venir augmenter l’actif de succession du conjoint survivant : Ces liquidités propriétés des enfants mais laissées en jouissance au conjoint survivant pourraient subir une nouvelle taxation au décès de ce dernier. La rédaction d’une convention de quasi-usufruit permettra d’éviter ce risque de double imposition.
En théorie, en l’absence de donation entre époux ou de testament, c’est à dire lorsque le démembrement est d’origine légale (contrairement à un démembrement conventionnel), la convention de quasi-usufruit pourrait ne pas être obligatoire (cf »Le quasi-usufruit, de la convention de quasi-usufruit à l’indexation de la créance de restitution.« ), mais par prudence je ne peux que vous encourager à faire rédiger cet acte.
Jusqu’à racheter la moitié du contrat d’assurance vie du conjoint survivant ?
Enfin, les puristes pourront demander à procéder au rachat de la moitié de la valeur de rachat du contrat d’assurance vie souscrit par le conjoint survivant pour éviter le risque fiscal d’abus de droit et d’application de la créance de restitution issu de la convention de quasi-usufruit sur un actif déjà transmis hors succession. (cf « Clause bénéficiaire démembrée : Comment placer les capitaux entre usufruit et nue propriété ? » pour comprendre en détail l’analyse de ce risque fiscal).
Rien à ajouter, clair et parfaitement juste.
Les héritiers deviennent « propriétaires » du contrat qui appartenait au ménage, et entre (à 50%) dans la succession.
Donc souvent ils auront des droits à payer.
De ce fait ils pourront faire racheter le contrat à condition je suppose que tous les ayant-droit soient d’accord.
S’ils ne font pas racheter et s’ils ne sont pas les bénéficiaires, ils auront reçu un héritage factice, malgré le fait d’avoir acquitté des droits !.
Sauf à annuler la clause bénéficiaire existante et à se nommer eux-mêmes comme les bénéficiaires.
Est-ce bien cela ?
Merci
Cordialement
Les enfants auront effectivement un héritage « factice », du moins un droit réel en nu propriété, mais qui ne leur donnera aucun droit de jouissance.
Cela concerne l’assurance vie, mais aussi les PEL, les livrets et même l’immobilier pour lequel ils deviendront nus propriétaires et le conjoint usufruitier.
Pour l’immobilier, pas de soucis, au décès de l’usufruitier, le nu propriétaire devient plein propriétaire et profite pleinement de son droit de propriété. En ce qui concerne les liquidités et l’assurance vie la difficulté vient du fait que l’usufruitier peut consommer, dépenser l’argent et même simplement modifier la clause bénéficiaire et les enfants pourraient ne jamais recevoir l’héritage pour lequel ils ont pourtant déjà payé des droits de succession.
Imaginez cette situation ou le conjoint et usufruitier de la succession (et conserve les liquidités et l’assurance vie sans convention de quasi-usufruit, tel que c’est aujourd’hui le cas de 90% des situations). Que se passe t’il s’il se marie à nouveau, ou simplement souhaite gratifier un nouveau compagnon ou compagne en modifiant la clause bénéficiaire du contrat d’assurance vie ou abondant un nouveau contrat : L’argent des enfants (héritage de leur premier parent décédé laissé en jouissance au conjoint survivant) est alors transmis au nouveau compagnon ou compagne.
Excellent , bravo Guillaume, une excellente synthèse.
A ce jour, la R.M. BACQUET est toujours au BOFIP, donc toujours applicable.
J’aimerais m’assurer d’avoir bien compris en prenant un exemple :
Le conjoint survivant possède un bien immobilier de 150 000 euros, un patrimoine financier (PEL, assurance-vie, livret A,…) de 400 000 euros.
– Dans le cas de la loi Bacquet qui paye les droits (notaire et fisc) ? et combien ?
– Avec la modification Sapin (si elle entre en vigueur), qui paye ces droits ? et combien ?
Bonjour,
« Dans le cas de la loi Bacquet qui paye les droits (notaire et fisc) ? et combien ? » ==> Les héritiers payent les droits de succession en proportion de leur héritage. Donc, dès lors que le contrat d’assurance vie souscrit par le conjoint survivant est considéré comme un actif de succession, les héritiers devront payer des droits de succession sur la moitié du contrat d’assurance vie + 1/2 du patrimoine financier :
– Le conjoint est toujours exonéré et cette augmentation de la masse taxable n’aura aucune conséquence fiscale pour ce dernier ;
– Les enfants, l’augmentation de la masse successorale aura pour conséquence une augmentation des droits de succession.
Masse taxable aux droits de succession : 400 000 + 150 000 = 550 000 / 2 = 275 000€.
Les héritiers (conjoint + enfants) devront se partager un patrimoine de 275 000€ (si le conjoint opte pour l’usufruit), la valeur fiscale se répartira selon le barème de l’article 669 du CGI
Donc les enfants devront payer des droits de succession sur cet actif parce qu’ils en deviennent « propriétaire »
Merci pour ces éléments et votre réactivité.
Il me semble qu’il y a des imprécisions:
– la récompense se calcule-t-elle sur la valeur du contrat ou sur le montant des primes versées (ce qui me semble en parallélisme avec L132-16)?
– dans le partage, les enfants peuvent être allotis en dehors du contrat d’assurance vie…
Oui, vous avez raison sur les deux points. En ce qui concerne la question de la récompense on ne peut que regretter l’aspect théorique de la chose. Si la pratique valide la récompense, en réalité personne ne l’applique jamais et cela pour une raison simple : Le notaire ne peut connaître le nom des bénéficiaires et ne sait pas si le bénéficiaire est une tiers, ni qui il est. (extrait de l’accord entre notaire et assureurs
« Ces lettres permettront au notaire de connaître l’existence des contrats souscrits par le défunt, ainsi que certaines de leurs caractéristiques : type de contrat, date de souscription et montant des primes. En revanche, il a été pris acte des obligations de confidentialité des assureurs qui ne leur permettent pas de révéler l’identité du ou des bénéficiaire(s).
Au regard des éléments communiqués, en particulier du montant des primes versées, les héritiers pourront, le cas échéant, par voie judiciaire, obtenir communication d’informations complémentaires et faire valoir leurs droits en application, notamment, de l’article L132-13 du Code des assurances. »
Il me semble urgent de revoir cet accord qui ne me semble pas avoir de sens. Le notaire doit être en capacité de connaître le nom du bénéficiaire du contrat d’assurance vie souscrit par le défunt.
Enfin, pour le partage, c’est évidemment souhaitable d’allotir les enfants en dehors de l’assurance vie. Cela permet de conserver la fiscalité dérogatoire de l’assurance vie, mais encore un fois, tout comme la récompense, le partage est trop rare dans une succession. (et ce ne me semble pas être le coût du droit de partage qui fait obstacle).
Dans votre expérience, avez vous souvent rencontré ses situations ?
Bien à vous et encore merci pour ces très justes précisions.
Bonsoir,
La réponse est ici : « Aucune récompense n’est due à la communauté en raison des primes payées par elle, sauf dans les cas spécifiés dans l’article L. 132-13, deuxième alinéa ».
Il s’agit bien des primes versées et oui, les enfants peuvent être allotis en dehors du contrat d’assurance vie.