Il est courant que le nu-propriétaire d’un bien immobilier reçu par donation ou succession s’interroge sur l’opportunité de réaliser une donation à ses propres enfants de la nue-propriété qu’il possède. Le nu-propriétaire, donateur, souhaitera, le plus souvent se réserver l’usufruit successif afin de jouir de l’usufruit dudit bien immobilier au décès du premier usufruitier.
Attention, il ne faut pas confondre la donation de la pleine propriété avec réserve d’usufruit à son profit et donation de la nue-propriété avec réserve d’usufruit successif. Dans le premier cas, c’est le plein propriétaire d’un immeuble qui réalise une donation de l’immeuble en se réservant l’usufruit (et avec réversion pour le conjoint) alors que dans le second cas, c’est le nu-propriétaire qui réalise la donation de sa nue-propriété avec en se réservant l’usufruit successif. Cet article est dédié à cette seconde situation : La donation de la nue-propriété avec réserve d’usufruit successif.
Pour approfondir la question de la donation de la pleine propriété avec réserve d’usufruit à son profit et donation de la nue-propriété avec réserve d’usufruit successif, vous pouvez relire cet article « La donation avec réserve d’usufruit réversible au profit du conjoint. »
Posons un exemple afin de mieux comprendre la situation.
Monsieur DUPONT est nu-propriétaire d’une maison à usage locatif. Monsieur DUPONT est âgé de 50 ans. Il a reçu cette nue-propriété par donation avec réserve d’usufruit de sa mère actuellement âgée de 82 ans.
Cela signifie que Monsieur DUPONT, nu-propriétaire, deviendra plein propriétaire de cette maison au décès de sa mère, usufruitière.
Monsieur DUPONT souhaite organiser la transmission de son patrimoine à ces enfants. Il envisage donc de donner la nue-propriété dont il dispose à l’un de ses enfants âgé de 28 ans. Monsieur DUPONT souhaite néanmoins se réserver l’usufruit successif sur cette maison : Monsieur DUPONT souhaite devenir usufruitier dudit bien immobilier au décès de sa mère (S’il est toujours vivant).
Quid du traitement fiscal et civil de cette donation de la nue-propriété avec réserve d’usufruit successif ?
Le traitement civil de la donation de la nue-propriété avec réserve d’usufruit successif.
D’un point de vue Civil, la donation avec réserve d’usufruit successif ne présente pas de difficulté majeure, même si la date de la survenance du décès du donateur peut avoir une incidence non négligeable selon qu’il intervient avant ou après le décès du premier usufruitier.
En effet:
- En cas de décès du donateur de la nue-propriété avant l’usufruitier initial, alors le donataire de la nue-propriété (=celui qui à reçu la donation de la nue-propriété avec réserve d’usufruit successif) devra rapporter civilement sa donation selon la valeur de la seule nue-propriété au jour de la donation ;
- En cas de survit du donateur de la nue-propriété et donc en cas d’ouverture de l’usufruit successif, alors le donataire de la nue-propriété (=celui qui à reçu la donation de la nue-propriété avec réserve d’usufruit successif) devra rapporter civilement sa donation selon la valeur du bien en pleine propriété. Pour approfondir cette notion de rapport civil, je vous encourage à relire cet article « Succession, Qu’est ce que le rapport civil des donations ? Pourquoi ? ».
Le traitement fiscal de la donation en nue-propriété avec usufruit successif.
D’un point de vue fiscal, la donation avec réserve d’usufruit successif, c’est à dire la donation de la seule nue-propriété détenu avec réserve d’usufruit à son profit, s’analyse en une opération en deux temps :
1- Donation de la nue-propriété à l’enfant en fonction de l’âge de l’usufruitier initial.
C’est l’application de l’aliéna 2 de l’article 669 du code général des impôts : « Pour déterminer la valeur de la nue-propriété, il n’est tenu compte que des usufruits ouverts au jour de la mutation de cette nue-propriété.«
Ainsi, au jour de la donation de la nue-propriété, la valeur de la nue-propriété donnée sera fonction de l’âge du premier usufruitier, vivant au jour de la donation. En effet, l’usufruit successif réservé par le donateur n’est pour le moment qu’hypothétique : Pour bénéficier, à son tour, de l’usufruit sur le bien donné, le donateur devra être vivant au jour du décès de l’usufruitier initial.
Ainsi, pour reprendre notre exemple : La valeur de la nue-propriété donnée par Monsieur DUPONT sera fonction de l’âge de la mère de Monsieur DUPONT au jour de la donation. Monsieur DUPONT se réserve l’usufruit successif sur la nue-propriété… mais il ne pourra réellement en profiter que dans l’hypothèse ou il survit à sa mère.
Cette donation en nue-propriété sera réalisée sur une valeur parfois importante compte tenu de l’âge de l’usufruitier. Dans notre exemple, Monsieur DUPONT donne sa nue-propriété pour une valeur représentant 80% de la valeur de l’immeuble en pleine propriété.
2- Au décès de l’usufruitier initial, l’usufruit successif ouvre un droit à restitution du trop payé.
Selon que le donateur de la nue-propriété est toujours vivant ou non au moment du décès de l’usufruitier initial, la situation est différente :
Si le donateur de la nue-propriété est décédé, l’usufruit successif ne s’ouvre pas et l’enfant donataire de la nue-propriété avec réserve d’usufruit successif devient plein propriétaire du bien ;
Dans notre exemple, si Monsieur DUPONT décède avant sa mère, son enfant, donataire de la nue-propriété devient plein propriétaire de l’immeuble au décès de sa grand mère. Dans cette situation, il n’y a aucune imposition à envisager au jour du décès de l’usufruitier initial.
Si le donateur de la nue-propriété est toujours vivant au décès de l’usufruitier initial, alors l’usufruit successif s’ouvre à son profit.
Dans cette hypothèse, le donataire de la nue-propriété aura payé des droits de mutation à titre gratuit (=droits de succession) sur une valeur de nue-propriété trop importante.
En effet, il aura payé des droits de succession selon l’âge de l’usufruitier initial alors même qu’il attendre le décès de l’usufruitier successif, plus jeune, pour prétendre à la pleine propriété de l’immeuble.
En application de l’article 1965B du CGI, il pourra demander restitution des droits de succession trop payés : « Dans le cas d’usufruits successifs, l’usufruit éventuel venant à s’ouvrir, le nu-propriétaire a droit à la restitution d’une somme égale à ce qu’il aurait payé en moins si le droit acquitté par lui avait été calculé d’après l’âge de l’usufruitier éventuel. »
Toute la question est alors de calculer le délai des 15 années pour le rapport fiscal des donations antérieures. A mon sens, mais je n’ai pas trouvé de texte le confirmant, il me semble cohérent de croire que le délai des 15 ans cours à partir de la donation de la nue-propriété et non à partir de l’ouverture de l’usufruit successif. (cf »Succession : Qu’est ce que le rapport fiscal des donations ? Pourquoi ? »).
Pour obtenir la restitution, le nu-propriétaire doit présenter une demande dans le délai prévu à l’article R* 196-1 du LPF, c’est-à-dire à partir de la date du décès du précédent usufruitier et jusqu’au 31 décembre de la deuxième année suivante. Les demandes en restitution doivent être présentées dans les formes prévues pour les réclamations ordinaires.
Ce point de départ du délai des 15 années à la date de la donation de la nue-propriété avec réserve d’usufruit successif constituerait incontestablement l’intérêt majeur de cette donation de nue-propriété avec réserve d’usufruit successif.
Le second avantage est de « figer » la fiscalité ! En donnant aujourd’hui, le donateur est certain de la fiscalité qui sera applicable à la donation … et le mode de calcul du droit à restitution sera fonction de la fiscalité actuelle.
Si demain, la fiscalité des donations devaient être moins favorable, c’est sur la base de la fiscalité actuelle que les droits de succession devront être calculés.
Voici un exemple concret proposé par l’administration fiscale afin d’illustrer ce droit à restitution :
Un exemple concret fera facilement comprendre les modalités de détermination du montant des droits à restituer.
Soit une succession d’une valeur de 100 000 € dévolue par testament en nue-propriété à X, en usufruit à Y et éventuellement à Z.
Y premier usufruitier, est âgé de 72 ans, Z de 26 ans au moment où s’ouvre la succession du testateur.
Conformément aux règles tracées par l’article 669 du CGI le premier usufruit est évalué à trois dixièmes de la pleine propriété, soit 30 000 €. Le nu-propriétaire X versera les droits sur les sept dixièmes soit sur 70 000 €.
Au décès de Y, dix ans après, les droits auxquels donne ouverture l’usufruit de Z sont calculés d’après son âge à cette date (36 ans) soit sur les sept dixièmes de la pleine propriété. Mais si l’usufruit s’était ouvert initialement au profit de Z, le nu-propriétaire X n’aurait acquitté l’impôt à sa charge que sur les deux dixièmes de la pleine propriété.
Le décès de Y le place en fait dans cette situation puisque la durée de l’usufruit est fonction du décès de Z. Ayant acquitté primitivement les droits sur les sept dixièmes de la pleine propriété soit sur 70 000 €, X n’en est plus débiteur que sur les deux dixièmes soit sur 20 000 €, il a droit à la restitution de la différence entre les deux liquidations.
Je n’ai pas trop compris l’intérêt d’une donation avec réserve d’usufruit successif en une étape plutôt qu’une donation en deux étapes: grand mère à son fils puis au décès de grand mère, père à son fils (ou fille) donc petit fils de grand mère !
Dans l’absolue le résultat est le même, mais l’intérêt principal de la donation de la seule nue-propriété est l’anticipation et la capacité à lancer le plus tôt possible de délai des 15 ans pour la rapport fiscal des donations antérieures.
Ok, je n’avais pas prêté attention à cet aspect des 15 ans.
Lorsque le nu propriétaire transmet sa nue propriété avec une clause d’usufruit successif (usufruitier age),doit il prévoir dans l’acte de donation une clause d’usufruit successif non seulement en sa faveur mais également à son conjoint,notamment pour le cas où le donateur nu propriétaire viendrait à décéder avant l’usufruitier âgé ?
Oui,cela est possible … mais attention, cela devient complexe à gérer
Votre interprétation fiscale me semble bien alambiquée. Il me semble beaucoup plus simple de raisonner autrement : la nue-propriété constitue un bien comme un autre, et a une valeur déterminée à partir du barème fiscal, en fonction de l’âge du donateur initial A au bénéfice de l’usufruitier B.
Si B souhaite à son tour céder la nue-propriété de cette nue-propriété, en s’en réservant l’usufruit, la valeur du bien doit tout simplement être à nouveau calculée à partir du barème fiscal.
Donc par exemple si le bien en pleine-propriété vaut 100, et que l’usufruitier A a 75 ans, la nue-propriété vaut 60. Si le nu-propriétaire B, âgé de 50 ans, cède lui-même ce bien à son fils C, âgé de 25 ans, en s’en réservant l’usufruit successif, va valeur fiscale de la donation est tout simplement 60×40%=24. C peut alors lui-même la céder à son fils nouveau-né, pour une valeur de 24×20%=4,8.
« Votre interprétation fiscale me semble bien alambiquée » … mais ce n’est pas une interprétation, c’est la manière de procéder reconnue par l’administration fiscale.
Pour mémoire, article 669 cgi « Pour déterminer la valeur de la nue-propriété, il n’est tenu compte que des usufruits ouverts au jour de la mutation de cette nue-propriété. ». Or, le second usufruit ne s’ouvrira qu’au décès du premier usufruitier à la condition que le second usufruitier lui survive.
c’est exact ! et dans l’exemple l’usufruitier a 75 ans, la NP vaut 70% et non 60…
En principe lors d’une donation, le donateur inclut dans l’acte une clause de retour au cas où le donnataire viendrait à mourir avant le donnateur.
Je m’interroge sur un sujet proche de celui traité ici :
que se passe-t-il si l’on souhaite donner la nue-propriété viagère d’un bien dont on possède uniquement la nue-propriété temporaire?
Ex : je suis nu-propriétaire de parts de SCPI en démembrement temporaire et je souhaite donner la nue-propriété viagère à mes enfants, tout en gardant les revenus après la fin du démembrement temporaire.
Je pensais que la valeur de la nue-propriété pour la donation était calculée comme si j’étais propriétaire à part entière de l’actif (et pas uniquement nue-propriétaire à titre temporaire). Néanmoins, à la lecture du sujet traité ici, j’ai un doute.
Bonjour,
je n’ai pas bien compris l’impact du rapport fiscal de 15 ans dans le cas d’une donation avec usufruit successif. Pourriez-vous préciser qui cela concerne et de quelle manière ?
Merci d’avance
Bonjour,
Qu’en est-il si la donation ne porte que sur la nue-propriété du bien immobilier, le donateur en conservant l’usufruit ou le droit d’usage et d’habitation, par exemple en tant que résidence principale, réversible ou non, et que le bien vienne à être vendu avant l’extinction de l’usufruitier (hospitalisation en EHPAD) par exemple.
Comment vont être calculer les plus-values immobilières entre les deux parties ?
!Pour l’usufruitier donateur, pas de problème = Résidence principale.
Pour le nu propriétaire donataire, la valeur de la VENTE de la nue-propriété risque de se trouver fort augmentée si c’est cette date que l’on retient pour calculer la valeur de l’usufruit restant (Article 669 du CGI).
D’autre part, la valeur d’ACQUISITION de la nue-propriété a elle été fortement abaissée par le même barème, qui a été revu en 2004, en faveur de l’usufruitier.
Si la durée de détention est courte ou si la valeur du bien augmente plus vite que l’abattement pour durée de détention, visé à l’article 150 VC du CGI, c’est un massacre fiscal ( 19% IR + 6% si Supérieure à 50.000 euros +17,2% CSG/CRDS:CASA…).
Est-ce qu’une donation d’un bien immobilier en démembrement présente un intérêt fiscal, en l’absence d’extinction de l’usufruit ?
Et que dire du rapport fiscal si par contre le donateur décède moins de quinze années avant sa donation, bien que la situation fiscale semble meilleure au niveau des plus values de vente puisque le fisc, par une mesure de tolérance qui n’est nullement codifiée, considère que la valeur d’acquisition est DANS LE CAS DE L’EXTINCTION NATURELLE DE L’USUFRUIT, la valeur d’acquisition est celle de la pleine propriété au moment de la donation, telle qu’elle figure das l’acte.
Qu’en pensez-vous ?